A ceux qui pensaient que le couple symbole des 90’s en bande dessinée n’avait plus rien à raconter, on ne saurait trop conseiller la lecture de ce Boboland, oeuvre importante, si ce n’est charnière, dans la carrière des récents Grand Prix du Festival d’Angoulême. Entre deux Monsieur Jean, Dupuy (Hanté) et Berberian (Playlist) ont expérimenté des voies plus personnelles, avant de se retrouver sur un projet commun avec leur mentor Jean-Claude Denis, le créateur de Luc Leroi, splendide personnage méconnu et prototype façon année 1980 de Jean l’écrivain.

Mais dans le cas de Boboland, on est davantage en présence d’une aventure de l’écriture que d’une écriture de l’aventure, pour paraphraser un autre Jean (Ricardou), exégète officiel du Nouveau Roman. L’intérêt de cette satire méchante et réjouissante réside en effet tout autant, sinon davantage, dans l’histoire artistique du couple et de ce qui a fait son succès que dans la série de saynètes proposées ici par les deux moralistes. Il faut alors remonter aux sources du personnage Monsieur Jean, créé en 1990, pour évaluer les rapports personnels du couple Dupuy-Berberian avec le phénomène bobo. Car Jean, écrivain à succès, navigue allègrement entre les amis losers (en fait le seul Félix) et winners, une petite amie éditrice (qui sera la future mère de son enfant) et des intrigues douces amères et germanopratines, sises entre le 6e et et le 10e arrondissement de Paris.

A leur corps défendant, Dupuy et Berberian sont donc devenus l’incarnation d’une bande dessinée sociologiquement marquée, engendrant de nombreux épigones sans grand talent (Christopher), alors que leur créature réussissait le tour de force d’anticiper la formulation même du concept bobo, apparu à l’aube des années 2000. Ce Boboland constitue donc une réponse cinglante et réussie des deux auteurs, une sorte de plaidoyer pro domo pour Monsieur Jean. Car les bobos de Boboland sont des hystériques consuméristes, prodigieusement égocentrés et détestables. Le sourire qu’ils arborent en couverture hésite entre le mépris et l’autosatisfaction affichés. Nos deux Saint Simon en herbe n’accordent aucune circonstance atténuante à ces authentiques bourgeois (ou gentrifieurs, comme les appellent désormais les scientifiques) qui occupent les espaces les plus caractéristiques du capitalisme triomphant (médias, mode, publicité) en feignant la compassion tiers ou quartmondiste. La satire touche juste et on ne doute pas qu’elle sera souvent grinçante pour le lectorat traditionnel d’une certaine nouvelle bande dessinée.