Suite de la relecture de l’œuvre maîtresse d’Otomo à l’aune de la réédition classieuse que nous offre Glénat pour ses dix ans. Résumons-nous : Akira a été délivré de son immense prison souterraine, la catastrophe est on ne peut plus imminente. Ce troisième tome débute malgré tout dans la torpeur la plus complète -c’est ce qu’on appelle le calme avant la tempête- mais très vite l’action frénétique reprend ses droits à grands coups de poursuites et de kidnappings successifs. A force de se faire trimbaler de gauche à droite, Akira va passablement s’énerver et piquer une grosse, très grosse colère jusqu’à provoquer la destruction de Neo-Tokyo.

L’intrigue tient en trois lignes mais Otomo prend ses aises et décline son maigre scénario sur presque trois cents pages. Ça relève de l’exploit mais on ne peut s’empêcher de ressentir une certaine lassitude. « Tout ce bordel, rien que pour ce gamin », dit un des personnages. Il n’a pas tout à fait tort, quand bien même Akira ne serait pas « n’importe quel » gamin. Toute cette agitation peut effectivement paraître assez vaine. Exception faite de la trahison de Nezu, le politicien dirigeant la résistance contre les militaires, rien de vraiment indispensable ne se passe avant l’apocalypse finale. Otomo fait bien intervenir trois nouveaux personnages -trois jeunes filles aux pouvoirs très similaires à ceux des enfants mutants- mais les flingue toutes avant la fin du volume. Tout ça n’est pas bien grave. Ce qui est fascinant, c’est la manière dont l’auteur construit son histoire, comme un mathématicien. On remarquera en effet que l’apocalypse est placée exactement au milieu du fil de la saga. Alors que d’autres auteurs se seraient arrêtés là, Otomo utilise cette catastrophe comme point névralgique de son intrigue. On passe les trois premiers tomes à l’attendre, puis les trois derniers à en savourer les conséquences. De même, Otomo semble fasciné par la symétrie.

Évidemment, la destruction de Neo-Tokyo, à la fin de ce troisième opus, renvoie directement à celle du début du premier. Encore plus fort, on avait déjà mentionné la symétrie parfaite du tome 2, basée sur la dualité évasion-intrusion. Une fois de plus, l’intrigue de ce troisième tome repose sur ce procédé : Akira est délivré par Tetsuo, puis récupéré par le trio Kanéda-Kei-Chiyoko, puis kidnappé par Nezu, une fois de plus récupéré par le trio, jusqu’au final où Tetsuo retrouve enfin Akira. La boucle est bouclée. Tout ça n’est peut-être que coïncidences dues au redécoupage mais Otomo est un constructiviste jusque dans sa manière d’appréhender son propre graphisme. On pense parfois à Kubrick, pour la distanciation clinique avec laquelle il met en place ses décors. Certaines cases ressemblent à des planches d’architecte d’une géométrie glacée, à la perspective parfaite. Il faudra attendre les dernières planches -sublimes- dans lesquelles Otomo brise cette harmonie graphique en détruisant les lignes parallèles des buildings grâce à l’onde de choc provoquée par Akira. Des planches d’une beauté expressionniste et d’une rare virtuosité. Qui a dit qu’Akira n’était qu’un stupide manga SF de plus ?