Pourquoi reparlerait-on d’Akira aujourd’hui, ce monstre-manga étant sorti il y a déjà 15 ans et son édition française-francisée lors de nos premières pollutions nocturnes ? Tout simplement parce que Glénat a eu la bonne idée de le ressortir en « édition originale », comprenez version noire et blanc tramé et impression sur papier hygiénique. Soit la sensation ô combien enivrante du vrai manga, cheap, à lire de préférence dans le métro de Tokyo -pour des raisons évidentes d’économie nous avons tenté l’expérience sur la ligne Nation-Charles de Gaulle. Il faut dire qu’on nous avait méchamment saboté le chef-d’œuvre-fleuve d’Otomo… Alors qu’Akira était sans doute le manga le moins japonissime possible, on nous avait resservi une couche d’occidentalisation excessive à coups de « colorisation » et « charcutage » en une flopée de petits volumes. C’est vrai, 600 pages de poursuites à moto sans discontinuer, c’est un peu dur pour le péquin cul-blanc moyen.
Mais c’est surtout l’occasion de se repencher sur une bande dessinée qui n’a pas pris un poil de rides. Malgré son appartenance à un genre quasi industriel, Otomo est un « auteur », un vrai de vrai, puisant son inspiration parmi les habituelles obsessions nippones -le trauma post-Hiroshima- mais aussi dans la culture occidentale -une évidente filiation avec Philip K. Dick, revisité par Ridley Scott certes, mais ça n’est déjà pas si mal. Akira va beaucoup plus loin que la Japanim franchement réductrice qui en a été tirée : c’est une saga apocalyptique « toujours plus », dotée d’un véritable esprit feuilletonesque, avec les défauts/qualités (barrer la mention inutile) inhérents au manga : étirement de l’action jusqu’à la corde, ellipses déstabilisantes, personnages visuellement interchangeables. Même si l’œuvre perd un peu de sa superbe après le « réveil » d’Akira -cela dit, pas de panique nous n’en sommes théoriquement qu’au tome 1, donc « d’ici là tout va bien »-, Otomo propose une lecture du futur qui, à défaut d’être véritablement originale, n’en reste pas moins tragiquement crédible et cauchemardesque. L’intrigue est complexe à souhait -tant et si bien que son adaptation cinématographique « concentrée » était à peu près aussi compréhensible que le final du 2001 de Kubrick-, pot-pourri de projections scientifiques, métaphysiques et mystiques dans lequel un gouvernement sournoisement fasciste « révèle » chez des enfants des aptitudes mentales propres à rivaliser avec la plus destructrice des bombes à neutrons. Bref, une saga pessimiste et violente -mais on a vu pire-, une référence difficilement surpassable.
On conseillera donc vivement aux « manga-puristes », s’ils existent, de se repayer l’intégrale. Quant aux autres, ceux qui ont rattrapé le train en marche en se pâmant sur Ghost in The Shell ou Porco Rosso, on ne saurait trop les encourager à se plonger dans cette BD fondatrice, grouillante et bouillonnante, en un mot comme en cent, un chef-d’œuvre.