S’il y a quelque chose d’extrêmement séduisant chez le « héros » populaire nippon, c’est bien son obstination à accomplir les destinées les plus fantaisistes, inimaginables… Voire complètement débiles, il faut bien l’admettre. Une détermination qui ne s’embarrasse pas d’analyses psychanalytiques sur ses origines… C’est comme ça et puis… c’est tout.

Qu’est-ce qui peut bien pousser, par exemple, la charmante Tenjou Utena (in Shojo Kakumei Utena) à s’habiller en mec et à vouloir devenir un prince ? Pas grand-chose si ce n’est multiplier des allusions saphiques gentillettes qui attirent sans doute vers ce shôjo manga rose bonbon un public de mâles lubriques et frustrés.

One Piece fonctionne sur le même mécanisme, en moins sexué, d’autodétermination. Son personnage principal, Monkey D. Luffy veut devenir pirate, si possible le plus grand -forcément-, depuis sa plus tendre enfance. Jusqu’à la self-scarification, jusqu’à l’idiotie la plus complète, dénuée du moindre sens des réalités. Mais il ne fait aucun doute qu’il va y parvenir puisque c’est à travers les causes les plus désespérées que s’accomplit le mieux le héros japonais. Histoire de corser l’affaire, Luffy a mangé par mégarde un fruit démoniaque qui l’a transformé en adolescent-caoutchouc, un peu comme le boss des Quatre Fantastiques, si vous voyez ce que je veux dire. Désormais incapable de nager -ce qui est plutôt ennuyeux pour un futur marin-, il ne lui reste plus que son inaltérable optimisme borné pour franchir les étapes qui lui permettront de réaliser son rêve.

Aussi surprenant que cela puisse paraître (son intrigue « abracadabrantesque »), One Piece est un énorme succès au Japon. Adapté pour la télévision -récompense suprême-, sa popularité ne s’est pas démentie. C’est que l’œuvre d’Oda ne ressemble pas vraiment à ce qu’on a pu voir jusqu’à présent. A rapprocher peut-être du Mirai Shonen Conan de Miyazaki, One Piece est surtout un bon petit shônen de base, avec ce qu’il faut d’aventures débridées, d’affrontements interminables et de misogynie light. Il faut dire qu’Eiichiro Oda a été à bonne école, puisqu’il a été l’assistant de Nobuhiro Watsuki sur Rurôni Kenshin,même si la filiation ne paraît pas très évidente au premier abord. Beaucoup plus léger que Kenshin, mais finalement plus cohérent, One Piece est destiné à un public plus jeune, peut-être moins exigeant. N’empêche, son univers original et rafraîchissant, dépourvu du moindre contexte historique crédible, vaut le coup d’y jeter un bref coup d’œil en attendant quelque chose de plus conséquent, ou de plus délibérément fantaisiste.