Tout ou presque -beaucoup d’inepties notamment- a été dit sur cette invraisemblable série. Monstre graphique, œuvre de génie tout en souffrances et en écorchures, témoignage d’un malheur inouï (beaucoup de vulgaires s’en tiennent malheureusement à cette lecture) mais surtout étonnante révélation d’une écriture qui « con-naît » à son créateur. Ce cinquième et avant-dernier tome vers le sommet du Haut-Mal marque à la fois une rupture (partielle) et une continuité avec les précédents chapitres. Rappelons pour les néophytes que Jean-Christophe, le frère du narrateur, souffre de crises d’épilepsie chroniques et violentes qui scandent la vie des protagonistes et le macro-rythme du récit.

Dans leur épopée désespérée vers la guérison, après la macrobiotique, le spiritisme et autre magnétisme, les parents de David se tournent à présent vers le vaudou, expérience offrant prise aux délires macabres et « boschiens » de David B. pour deux planches extraordinaires. Puis, afin que l’honneur de notre cher Occident soit sauf, ils reviennent au plus traditionnel pèlerinage à Lourdes, qui participe de ce grand brassage culturel et spirituel pratiqué par l’auteur-narrateur. Après une désastreuse expérience auprès de l’Ecole Arica, réceptacle ultime de « tout ce que l’on peut trouver d’ésotérique sur terre », David renonce à cette proie virtuelle pour l’ombre bien réelle des fantômes qu’il côtoie depuis le précédent opus. C’est là une première rupture. La seconde, plus efficiente dans le récit, est matérialisée par l’explosion de violence, latente jusqu’ici, chez le frère de David. Lors de ces crises, parfois insoutenables, il devient un géant écorché vif, un ogre pathétique, amateur de Black Sabbath et de Led Zep, armé de couteaux face à son frère Petit Poucet. Mais le plus faible est loin d’être celui qu’on imagine, puisque cette violence contamine l’ensemble de la famille où chacun exsude une haine contenue qui ferait la joie de psychanalystes de bazar.

Il semble également que cette violence se répercute à l’échelle de l’œuvre, avec un découpage qui alterne séquences délibérément accélérées (neuf cases par pages) et bandes horizontales où le temps se suspend (voir la sublime visite des musées suisses). Temps forts et temps faibles forment alors une sarabande souvent grotesque, à l’image de ces personnages hydrocéphales et voyeurs qui entourent la famille lors d’une crise, ou de ces gourous ectoplasmiques qui cherchent à entraîner le narrateur dans un renoncement à toute lucidité. Ce refus où pointe l’acceptation du désespoir et de la fatalité entraîne le départ de David. Un départ dans une nuit toujours plus noire, à l’opposé de la force vitale du départ rimbaldien « dans l’affection et le bruit neuf ».