A l’origine du Capitaine Ecarlate, deux auteurs complets qui, au gré des collaborations, n’hésitent pas à inverser les rôles : ils scénarisent, dessinent, pour eux-mêmes comme pour les autres. David B. et Emmanuel Guibert se sont fréquentés dans l’atelier des Vosges qui regroupait plusieurs dessinateurs de bande dessinée. Dès ses premiers albums, David B. fut vite reconnu comme l’un des auteurs les plus prometteurs des années à venir. Chaque nouvel opus de L’Ascension du Haut Mal (l’un des meilleurs récits autobiographiques ; quatre tomes sont déjà parus -voir nos critiques tome 2 et du tome 4) confirme l’attente que tous (le public comme les critiques) plaçaient en l’un des fondateurs de L’Association. Ma première découverte du travail d’Emmanuel Guibert remonte à Brune, au dessin hyperréaliste, une sorte de descendant de la grande époque de Liberatore et d’ancêtre de Beltran. Il faudra attendre quelques années pour qu’il participe à deux excellents titres : La Fille du professeur, qu’il dessine sur un scénario de Joann Sfar, et Demi-tour, dont il est le coloriste sur un scénario de Benoît Peeters et des dessins de Frédéric Boilet. Pour la petite histoire, Joann Sfar et Frédéric Boilet faisaient aussi partie de l’atelier des Vosges… (Notons avec amusement qu’un des personnages principaux de Demi-tour se nomme Beauchard, véritable nom de David B.)

Le Capitaine Ecarlate est la première rencontre de ces deux auteurs talentueux et le résultat est exceptionnel. Ils nous offrent une œuvre majestueuse, avec un récit d’une force rare illustré par un dessin singulier. Dans ses précédents albums, le monde de David B. était tout à la fois peuplé de fantastique (créatures et événements), de légendes (venant de diverses mythologies indo-européennes), des rêves de ses nuits et de la passion de la lecture. Le Capitaine Ecarlate est un savant dosage de ces thèmes, d’une histoire novatrice et du Paris fin XIXe. L’originalité de la trame et de certaines situations est aussi remarquable que l’idée centrale de La Fièvre d’Urbicande de Schuiten/Peeters (le fameux cube). L’évasion est immédiate, le lecteur est emporté dès les premiers dialogues.

Le style d’Emmanuel Guibert, assez étonnant dans la bande dessinée (mais qui n’a rien à voir avec celui de Brune), permet d’exprimer différentes facettes du scénario. Le mystère, avec cette technique de colorisation si particulière : les zones de couleurs sont tachetées de noir et, par leur irrégularité, participent à l’ambiance trouble du récit, à un certain flottement des sensations. La sensibilité ou la poésie des personnages aussi bien que l’humour des situations sont rendus par le trait, d’une épaisseur inhabituelle. Il donne juste ce qu’il faut d’impression de caricature, sans l’être pour autant. A l’instar de Schuiten/Peeters ou d’Hugo Pratt, le travail de David B. et d’Emmanuel Guibert est de ceux qui donnent envie de lire les influences des auteurs. En effet, Le Capitaine Ecarlate a pour principale source d’inspiration l’écrivain Marcel Schwob que les deux auteurs apprécient. Et dès la lecture de l’album terminée, l’envie de lire des nouvelles de Marcel Schwob est là. Félicitons d’ailleurs l’éditeur pour son dossier complémentaire, réalisé par le journaliste Jean-Christophe Ogier : il apporte des suppléments d’information utiles ou amusants.