Le sujet n’ayant pas encore été abordé sur Chronic’art, ces quelques lignes ne seront pas consacrées spécifiquement au dix-neuvième opus de Calvin et Hobbes, mais à la série en général. Elle est apparue dans la presse quotidienne américaine au mois de novembre 1985 et le succès fut immédiat (la série sera diffusée dans le monde entier dans 2 400 journaux, seuls les Peanuts faisant mieux avec 2 600 supports). A la fin de l’année 1995, Bill Watterson (auteur de la série et sans doute le dessinateur le plus intègre que la profession ait jamais connu) décide d’arrêter Calvin et Hobbes, considérant qu’il a donné le meilleur de lui-même. Et en effet, il nous l’a prouvé à travers les aventures de Calvin, un petit garçon de six ans plein d’imagination, et de son tigre en peluche Hobbes. Le premier trait de génie de Watterson est de ne pas répondre à la question de l’identité du tigre : est-il réellement vivant lorsqu’il est seul avec Calvin ou ne s’anime-t-il que dans l’imagination de Calvin ? De cette ambiguïté, Watterson a tiré quelques milliers de gags d’une exceptionnelle qualité.

Tout d’abord parce que la série offre plusieurs niveaux de lecture. Un premier pour les enfants qui s’identifient à l’imaginaire de Calvin (et le plébiscitent d’année en année). Un second « grand public », dont tout un chacun peut profiter (comique de situation, dialogues emplis d’humour, faciès expressif de Calvin…). Un autre niveau plus « adulte », qui traite de la responsabilité des parents dans leur rôle éducatif, leur statut d’ »être responsable », etc. Et un dernier qui aborde des aspects métaphysiques ou philosophiques, comme la destinée de l’homme, sa place sur terre… (Précisons aux incrédules que les prénoms des protagonistes n’ont pas été choisis au hasard puisqu’il s’agit de Jean Calvin et Thomas Hobbes…). Une telle originalité n’est pas fréquente dans la bande dessinée et une lecture ouverte et intelligente de Calvin et Hobbes promet un enrichissement culturel peu commun…

Une autre force de la série est la créativité graphique dont le dessinateur a su faire preuve tout au long de son œuvre. Watterson est l’un de ces trop rares auteurs qui explorent les possibilités de la bande dessinée, démarche si chère à Thierry Groensteen et à Benoît Peeters. Citons l’utilisation du noir et blanc (avec quelques réussites digne du Franquin des Idées noires), le détournement de codes graphiques (dessin, photographie, peinture…), l’art du montage et de la narration, etc. Cette énumération est particulièrement réductrice, mais un inventaire complet des simples trouvailles ou des idées géniales (au sens non galvaudé du terme) serait un travail de fond irréalisable ici.
Enfin, Bill Watterson séduira plus d’une personne par les valeurs qu’il défend. C’est l’un des seuls créateurs à refuser tout produit dérivé de ses héros. L’argent ne l’intéresse pas et la gloire encore moins (la perte de son anonymat lui a presque fait regretter le succès de sa série !). Aux dernières nouvelles, depuis qu’il a arrêté Calvin et Hobbes, il profite de la vie, partageant son temps entre le vélo et la peinture. Découvrez sans réserve cette série unique et jetez-vous sur Que de misère humaine !