Les critiques qui comparent De mal en pis avec Short cuts n’ont rien compris. Une singulière construction narrative en commun, et alors ? Le roman graphique d’Alex Robinson survole la fragile articulation entre fin d’adolescence et naissance des responsabilités là où le film d’Altman décortique le fiasco du couple chez l’adulte accompli. En réalité, c’est George Lucas et son tableau nostalgique American graffiti (qui rappelons le inventa, avec ce film, la forme cinématographique du « chassé-croisé » utilisée par Altman et adaptée en bande dessinée par Robinson) qui convient le mieux au rôle d’inspirateur artistique. Une obsession commune pour le thème de « l’entrée dans l’âge adulte » et de multiples clins d’oeil à Star wars dans l’arrière-plan BD entérinent cette filiation pleinement revendiquée. Attention cependant, l’influence des pères a toujours ses limites.

Si George « Peter Pan » Lucas filme inlassablement cette étape humaine comme une fracture (une nuit pour abandonner l’immaturité derrière soi dans Américan, le meurtre du père comme baccalauréat dans Star wars), Robinson s’écarte du blocage paternel et préfère croire en une lente évaporation des espoirs. Pas moins de six cents pages sont alors nécessaires pour éviter le résumé Lucasien, six cents pages pour illustrer une problématique personnelle : en entrant dans une société adulte bâtie par nos prédécesseurs, quelles valeurs allons-nous conserver ? Quelles institutions devons-nous reconstruire ?

Une mamie acariâtre, concierge détestable, tombe malade et le chaos prend place en son absence. Plus loin, la rigueur d’un jeune anticapitaliste s’effondre devant deux enfants émerveillés par le père Noël. La ronde des personnages tourne peu à peu, l’apprenti dessinateur de comics saute de l’arrière-plan à la place principale, le nerf intime se précise à mesure que l’oeuvre progresse : à l’image de ses pairs Dylan Horrocks, Quentin Tarantino ou Kevin Smith, Robinson questionne la possibilité d’être artiste sous l’influence du comics book et de la Force Jedi. Les différents acteurs de De mal en pis, Sherman le libraire, Stephen le beau gosse, Dorothy l’alcoolique, étendent le débat aux autres sphères de l’incertitude, prouvant que les bonnes intentions ne font pas les bons combats, vieillissant à chaque page, s’aguerrissant aussi. Dans son épilogue, l’auteur renoue avec American graffiti dans cette vision d’un avenir morose teinté de nostalgie. Les jeunes adultes ont la beauté des fleurs en été. Ils rayonnent à leur zénith, incandescents et naïfs, ignorant que tout devra bientôt faner.