Le réel événement de « Masters of horror » reste le retour aux manettes de vieilles gloires de la génération dorée de l’horreur et du fantastique : John Carpenter, John Landis, Tobe Hooper. Pour quels films ?

Comme pour les Contes de la crypte en son temps, Masters of horror est l’occasion de mesurer le taux de fraîcheur de vieux de la vieille plus ou moins retirés du circuit. Alors que la précédente série permettait à William Friedkin ou d’autres de payer leurs impôts sans forcer, c’est au tour de trois illustres mavericks de se frotter à l’exercice avec un bonheur aléatoire. Un point commun toutefois aux trois opus de Tobe Hooper, John Landis et John Carpenter : une certaine idée de la ringardise, dont les déclinaisons révèlent moins la santé des cinéastes que leur lucidité quant à leur situation. Carpenter confirme avec La Fin absolue du monde (le titre, même Christophe Gans n’oserait pas) la malédiction qui le frappe depuis sa consécration critique au milieu des années 90 : une prétention délirante qui entache et alourdit ses derniers films, sentiment désagréable de se regarder travailler. Pas étonnant donc que La Fin absolue du monde accorde au cinéma une place centrale. L’horreur, c’est un film maudit provocant la mort de ceux qui le regardent, en premier lieu son créateur, clone de Stanley Kubrick version anarchiste romantique. Idéal du cinéaste tourmenté par sa création, mais aussi par l’impact qu’elle produit sur son auditoire, il y a tout du néo-narcissisme carpenterien ici : se considérer comme une pièce de musée et comme son propre visiteur, double regard qui ne laisse pas d’autre place qu’un ressassement moisi de cinéphile aigri, plus que jamais coupé du monde. D’autant plus pathétique que la grandiloquence du sujet contraste avec la modestie du format télé. Agacement plus que pitié donc.

La pitié serait plutôt à mettre au crédit de Tobe Hooper, grand clochard du système toujours là pour fouiller les poubelles des studios. Tirée d’une nouvelle de Richard Matheson, son Dance of the dead propose une vision d’un futur proche post-apocalyptique. Comme d’habitude, on suit la déliquescence d’une famille, celle d’une jeune serveuse puritaine attirée par un James Dean version hard rock dans un tripot sordide. Elle y voit sa sœur défunte se déhanchant sur une estrade convulsée par les électrochocs de deux gogos danseuses. Hormis quelques séquences bien senties qui font la marque Hooper (défilement, vitesse, lumière chatoyante), on sent un décalage profond entre le cinéaste et sa matière. Décalage d’autant plus flagrant que Dance of the dead tente de se relancer dans la course en se confondant avec la jeunesse de ses héros. Seulement la mise en scène a au moins dix ans de retard, alignant les motifs chichiteux (bande sonore rappelant les grandes heures de Pantera ou autres groupes à poil, tremblotements saccadés du cadre). Le choix du zombie-concept, une première pour Hooper qui récidivera dès Mortuary, son film suivant, est en soi révélateur : en ressuscitant artificiellement un corps en putréfaction, le cinéaste enregistre les soubresauts inespérés d’une mise en scène qu’on croyait disparue à jamais.
Du coup, Dance of the dead est un condensé malade de nostalgie, une aberration du système justifiée par le souvenir et l’adoration. No future pour Hooper, on le savait déjà, mais le fait qu’il revienne par delà l’histoire du cinéma suffit à provoquer une saine émotion.

Point de deuil ni d’aigreur chez John Landis, mais une clairvoyance réjouissante. Entre autocitation et autoportrait, La Belle et la bête (Deer woman) enregistre justement tout ce qui sépare l’homme du Loup-garou de Londres au cinéma d’aujourd’hui. L’objectif n’est pas de marquer son retour, mais de jouer avec sa précarité actuelle. Histoire de placard, celle d’un flic cantonné plus ou moins volontairement à la criminalité animale qui reprend du service à la suite d’une série de meurtres sauvages où les cadavres sont marqués par des traces de sabots. Ce qui frappe dans Deer woman, c’est de retrouver intacts les mécanismes d’une mise en scène éteinte depuis vingt ans. Nul besoin de dépoussiérage : tout est en place comme au bon vieux temps, des effets spéciaux au rythme en passant par l’humour. Aucune sensation de lifting car Landis assume tout avec une modestie flamboyante. Il sait parfaitement où il met les pieds (dans un programme pour cinéphages qui n’attendent pas autre chose de lui qu’un revival stricto sensu), et en rit sans une once d’opportunisme ou de dédain, ni envers les autres ni pour lui même. Voilà sans doute le meilleur de ce que Masters of horror peut tirer de ses vétérans : les consacrer en plus heureux des has been.

La Fin absolue du monde (Cigarette Burns), de John Carpenter
Diffusion vendredi 17/11/06 sur Canal + à 23h35
La Belle et la bête (Deer Woman), de John Landis
DVDs Zone 2 – Universal Pictures Video
Dance of the dead, de Tobe Hooper – disponible plus tard en DVD

Le (grand) soir des morts vivants par Joe Dante
Point de départ génial et tordant de Homecoming, épisode de Joe Dante et de loin l’un des plus passionnants de la série : substituer aux zombies végétatifs du mythe romerien leur version civique, transformer leur errance nihiliste en marche militante. A la faveur d’une « petite phrase » malheureuse prononcée par un consultant politique ultra-républicain, les soldats morts en Irak se redressent en grognant, direction les bureaux de vote. Sitôt leur bulletin (anti-Bush, on l’aura compris) glissé dans l’urne, les affreux retombent raides. Mais quand l’inique administration visée parvient à s’approprier l’événement et finit par truquer les votes, ce sont tous les cimetières militaires (Corée, Vietnam…) qui vomissent une armée d’ectoplasmes séditieux en marche vers Washington. L’horreur accouchée par la mauvaise conscience de l’Amérique, le retour de bâton via les fantômes putrescents de son Histoire, l’idée n’est pas vraiment neuve, elle marche main dans la main avec la modernité du cinéma d’horreur US. Mais ce qui frappe dans l’opus de Dante, c’est précisément sa capacité à ranimer ce déjà vieux décorum contestataire (la séquence magnifique du réveil des premiers zombies, où c’est d’abord le stars and stripes, leur servant de linceul, qui s’anime) en le confrontant brillamment à son propre savoir-faire de franc-tireur. Résultat : Homecoming se trouve étrangement, vis à vis des modèles de Romero, autant dans une parfaite continuité qu’en nette rupture.
En continuité parce s’y prolonge le travail, opéré par Romero lui-même, de réévaluation de sa propre parabole et de sa charge politique, de l’idiotie pure et abstraite du zombie comme symptôme de la dégénérescence d’une civilisation (Zombie, exemplairement) à sa requalification en masse aliénée qui dit l’abjection concrète du système (Le Jour des morts vivants, un peu, Le Territoire des morts, beaucoup). En rupture parce que Dante pratique ici une satire à la fois beaucoup plus frontale et légère, en un flux tendu de trouvailles jubilatoires. En la matière, il faut se rappeler qu’il s’est toujours montré un maître-artisan assez brillant, qu’il opère en clandestin dans Gremlins, Small soldiers ou le méconnu Les Banlieusards, ou qu’il se lâche dans The Second civil war. De ce brûlot magistral, déjà réalisé pour la télévision, Homecoming hérite un art parfaitement maîtrisé de la construction (l’élégante structure en flash-back, les séquences de plateaux TV qui se juxtaposent en échos hilarants à la trame du récit), une efficacité rare qui tranche avec la structure parfois branlante de certains autres épisodes, le Carpenter en tête. Et surtout, une capacité infinie à ne jamais laisser se dégonfler ses enjeux (c’était le risque, avec une idée aussi forte), à tirer en permanence tout le profit de chaque situation, à en épuiser tout le potentiel de drôlerie avec une science absolue du détail (l’autocollant  » I voted « , collé sur le revers de l’uniforme d’un zombie). Une réussite totale, drôle et stimulante de bout en bout, et, sur le même sujet, infiniment plus digeste que les leçons de choses de Michael Moore.

Homecoming, de Joe Dante – disponible plus tard en DVD
Diffusion vendredi 17/11/06 sur Canal + à 22h35

Miike privé de télé
C’est le film fantôme de la série : effrayés au visionnage par le cumul d’images limites du segment de Takashi Miike, Showtime a jugé préférable de ne pas le diffuser sur les écrans américains. La chaîne câblée n’ayant aucun droit de regard sur le contenu des épisodes, elle a préféré le retirer plutôt que s’engager dans une bataille avec les producteurs (IDT Entertainment et Industry Entertainment) pour remanier le film. On imagine ce qui a pu gêner. Ça commence avec le cadavre à la dérive d’une femme enceinte, ça continue plus loin avec ceux de fœtus fraîchement avortés surnageant eux aussi dans le cours d’un fleuve. Soit le programme de la copie de Miike : celui d’une matière macabre, hystériquement transgressive (le cahier des charges est plutôt fourni : torture, bien sûr, mais aussi infanticide, fratricide, inceste), prise dans les courants d’une narration de plus en plus diluvienne. Situant l’action d’Imprint au XIXe dans un bordel nippon joyeusement tératologique, Miike cherche son inspiration dans la tradition de l’ero-guro, genre à l’essence sadique et grotesque dédié, entre autres réjouissances, à la torture de jeunes filles en fleur. Certains motifs sont d’ailleurs directement empruntés au maître du genre Teruo Ishii (L’Enfer des tortures). Ici, un journaliste américain part sur la trace d’une prostituée dont il est amoureux, et écoute finalement le récit multiple de son martyre, façon Rashomon déviant, par une collègue mutante et un peu dérangée de la belle.
Pour ce script où les péripéties morbides prolifèrent non-stop en un chapelet de tumeurs clownesques, Miike retrouve Daisuke Tengan, fils de son ancien prof Imamura et déjà scénariste d’Audition. Mêmes qualités, mêmes limites. Plastiquement, le segment est parfois impressionnant, en tout cas nettement en marge des autres (c’est clair que ça respire plus l’Art que le protocole heavy metal de Hooper). Mais le principe d’exaspération systématique de son petit théâtre de la cruauté peut finir, justement, par exaspérer un peu.

Imprint, de Takashi Miike – disponible plus tard en DVD

Argento et la difformité
Les tribulations de Jenifer, fille au corps de rêve et au visage de monstre : ceux qui chercheraient à retrouver dans cet épisode les puissances baroques et colorées qui ont fait les riches heures du cinéma d’Argento risquent d’être déçus. Jenifer avance au contraire dans la lumière sèche de la série B qui, loin de sublimer le réel par une tension entre le cru (la chair meurtrie) et le sublime (le macabre comme pointe ultime de l’art), tend davantage vers un réalisme du quotidien, une image presque terne de l’Amérique, à peine sertie par endroits de quelques réminiscences ancienne manière (une apparition rêveuse dans la forêt enténébrée). A ce titre, le visage difforme de l’héroïne dans ce coin d’Amérique, c’est un peu le cinéma d’Argento qui fait irruption au cœur du pragmatisme américain, un corps profondément hétérogène à cet univers. Beau et affreux à la fois, charnel et monstrueux en même temps, divin et trivial dans un seul mouvement, ce corps sied mal à la rhétorique habituelle du cinéma fantastique américain où le puritanisme implique toujours une sorte de séparation entre l’usage des plaisirs et le laid, entre le sublime et le trivial. L’étrangeté de Jenifer, c’est précisément d’être un objet de désir, doux, aimant, en même temps qu’un sommet de pulsions carnivores et bestiales, un corps parfait et un visage aux difformités presque maniérées (pour un peu on penserait aux peintures de Francis Bacon). Rien d’étonnant alors que les hommes qui lui sauvent la vie se sentent investis d’une mission, amenés à la protéger en dépit de la barbarie animale dont elle est capable, touchant sans distinctions morales tout ce qui ressemble de près ou de loin à un être vivant. En filigrane, dans les limites offertes par le format d’une série B télévisuelle, Jenifer n’offre rien moins qu’une parabole sur la tétanie qui touche l’humanisme dès lors qu’il est confronté à l’ambivalence d’un personnage aussi étrange. En toute logique, le film se boucle comme il avait commencé, car rien ne peut résoudre l’équation offerte par ce curieux personnage.

Jenifer, de Dario Argento
DVD Zone 2 – Universal Pictures Video

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