“J’ai lu Guerre et Paix. Ca parle de la Russie” A sa façon burlesque et absurde, Woody Allen de souligner le caractère légendairement indigeste et rugueux de ce monument historique de la littérature. Ce qui distingue cette adaptation par la BBC de ses illustres prédécesseures est justement de l’avoir soumis au risque de la modernité narrative pop. Elle intégre ainsi les canons scénaristiques de la série contemporaine en costume (Games of Thrones, Spartacus, Vikings…) pour délivrer de l’oeuvre somme de Tolstoï le canevas d’un jeu d’intrigues familiales limpides face aux tourments de la guerre. Rappel. A la mort de son père, le jeune idéaliste et soulard Pierre Bézoukhov hérite et devient un peu malgré lui comte à son tour autant qu’un bon parti rapidement accaparé par la fille du prince Kouraguine qui n’en veut qu’à son pognon. Les Rostov minés par des revers de fortune (dont Natascha amie intime de Pierre) essayent bon gré mal gré de se refaire une place tandis que Napoléon Bonaparte et ses troupes marchent vers Moscou.

Dès ses premiers plans, la série War & Peace légitime des répliques anglo-saxonnes à la Henry James par un faste décoratif d’un autre temps, lumineux, exubérant dans son raffinement. Mieux, elle fait de chaque séquence marquante un enjeu pictural classique – on pense à Peter Greenaway – identifiable dans sa composition. La mort du comte, le bal, la bataille… pour ne citer que ces séquences, font l’objet d’un souci de scénographie et de lumières maniaques, impeccables mises en abyme des passions soumises à l’injonction de la probité. Parce que dans le fond, il n’est question que de ça dans War & Peace: quelle est ta place et comment vas-tu y survivre ? A noter que “la paix” est en langue russe un homophone du “monde”, de la société. Incroyable façon de nous avertir que l’un ou l’autre aura notre peau. La guerre ou la réputation. Sans spoiler, à War & Peace de réconcilier la génération Y (les séries de la BBC en sont coutumières) : les temps de troubles forment l’assiette idéale pour devenir ce qu’on veut. Au fils indigne de devenir un héros de guerre. A l’intriguant sans scrupules d’inspirer à un autre héros une fraternité qui dissout la jalousie affective. A la barbarie de la guerre d’apprendre à se civiliser et de reconnecter avec son destin. Cela ne se fera pas sans perte, certes.

De l’interprétation d’un casting sans faille (étonnant Kassovitz en Napoléon sans doute inspiré par Nicolas Sarkozy à Pierre Bézoukhov, aux airs d’Harry Potter en dépression) à la démesure du décor, War & Peace transpire non seulement le souci de l’adaptation inspirée mais aussi l’humilité du one shot. “Nous avons six heures pour faire état d’un des plus grands romans de la fin du 19ème siècle”. War & Peace ne dit que ça dans un language visuel et sonore où se mêlent sans fausses notes accents artistocratiques british et chants traditionnels russes, visions de chaos militaires puis civils, exaltés et poèsie pastorale contemplative, dialogues dont l’élégance n’égalent que la concision. Vertigineuse valse des corps et des affects où l’amour est une guerre contre la place que le regard social nous assigne. Et où la guerre elle-même nous tient en respect pour l’amour des vivants.