N’en déplaisent aux premières intéresséEs, le monde a peut être besoin de phénomènes médiatiques pop comme Conchita Wurtz ou de Caitlin Jenner pour qu’enfin émerge et soit massivement suivie une fiction TV solide dont le pilier narratif est le changement de genre d’un père de famille.

Depuis deux saisons, Transparent suit les aléas d’une famille juive de Los Angeles, les Pfefferman, dont le patriarche décide sur le tard d’assumer sa transidentité pour vivre enfin pleinement et au grand jour en tant que Moira. Mettons tout de suite une critique “militante” de côté: oui, pour une première série US qui se veut réaliste sur le sujet, on peut dire que les scénaristes ont séchement évacué un certains nombres de cicatrices du parcours de vie typique – et souvent tragique – d’une transexuelle. Moira a de l’argent, est divorcée, a derrière elle une brillante carrière universitaire et se trouve dégagée des obligations paternelles vis-à-vis de ses trois grands enfants (qu’elle continue pourtant à entretenir). On est loin du cliché hélas majoritaire de la jeune trans rejetée par sa famille et exclue du monde du travail (ou n’ayant pour seule perspective que celui de la performance cabaresque ou du sexe tarifé). Il y a que l’objet de Transparent n’est pas seulement de montrer à quelles intolérances du regard social se heurtent les trans mais plus largement de prendre à bras le corps le genre de la chronique familiale pour le mettre à l’épreuve d’un éveil à la liberté. En même temps que leur père renaît en tant que Moira, les enfants se voient eux aussi forçés, au gré des circonstances, de questionner leurs propres normes identitaires, relationnelles et affectives. La cadette, Ali, étudiante incertaine et fêtarde, se tourne vers les gender studies. Joshy, producteur de groupes d’indie pop et queutard notoire tombe amoureux d’une rabbin. Et Sarah mariée-deux-enfants, d’envoyer valser sa vie de housewives pour Tammy, sa copine lesbienne de fac retrouvée. Ce n’est pas sa moindre espièglerie mais Transparent est un titre à tiroir, polysémique. La transparence soudaine de Moira, de son statut de femme, entre en dissonance avec l’adultère caché de Sarah et l’absence de crédibilité conjugale de Josh. Plus loin et à la lumière de cette très belle (quoique moins percutante) deuxième saison, c’est aussi la relation parent/enfants qui entre en transition. Moira, malgré son grand âge fait l’apprentissage quasi adolescent d’une société binaire et cruelle. Dans les toilettes d’un grand restaurant ou perdue dans un festival féministe “women only” mais interdit au trans non-opérées, elle devient pour ses enfants une petite soeur à protéger de l’intolérance et de la stupidité du monde. Aucun angélisme pourtant de la part des scénaristes. L’expérience de sa singularité sociale l’amène aussi à se comporter comme une bitch qui confond – au détour d’un rateau à un bar – transphobie ordinaire et le simple fait que son assurance nouvelle de femme ne fait pas pour autant d’elle une femme irrésistible. Cette qualité de nuance inédite, vertigineuse emmène loin, très loin chaque personnage aux prises avec des situations familiales ou affectives “normalement” claustrophobes, bêtement assignantes. Il faut encore saluer une écriture au cordeau, une interprétation éblouissante de modestie et quelques purs moments de grâce visuelles à la fois légers et grave, en suspens.

Enfin, Transparent nous lance aussi cet avertissement d’une terrifiante actualité: les superstitieux et les idéologues, ennemis de la liberté (qui consiste à rester une aventure pour soi-même sans rien imposer aux autres); ceux-là n’ont finalement ni couleur politique ni patrie en particulier. On les reconnaît à des gestes totalitaires, définitifs. Contre toute attente, ce qui lie 3 générations de Pfeffermann tient dans cette détermination à leur opposer une résistance solidaire, familière (plutôt que familiale) et résolument aimante.   

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