Après le très médiocre Tyrant et sa collection de clichés sur le Moyen-Orient, la télévision anglaise s’attaque avec The Honourable Woman au même sujet, prenant pour toile de fond non pas un pays fictif, mais le très actuel conflit israélo-palestinien. La «femme respectable» de l’histoire, c’est Nessa Stein. Enfant, elle a assisté hébétée avec son frère à l’assassinat brutal de son père, vendeur d’armes israélien. Vingt-neuf ans plus tard, on la retrouve dans cette même pièce, fraîchement anoblie, tenir un discours éloquent devant un parterre de dignitaires et hommes d’affaires. Avec l’aide de son frère Ephra, Nessa a transformé la société familiale en une fondation qui œuvre pour la paix au Moyen-Orient. Femme d’affaires et de conviction, elle pense que la seule façon d’arriver à un apaisement durable dans la région est d’aider les Palestiniens à s’élever socialement et économiquement, notamment en améliorant leurs moyens de télécommunications. Quand le bénéficiaire palestinien du dernier appel d’offre de la Fondation Stein est assassiné, Nessa se retrouve au centre d’un complot aux ramifications multiples. Elle-même cache bien des secrets.

D’un pitch prometteur, Hugo Blick (The Shadow Line) tire un thriller psychologique d’une élégance formelle rare. Il a fait le choix d’un rythme lent, plus proche du chef-d’oeuvre La Taupe de Tomas Alfredson que des dernières saisons de Homeland, à laquelle la série ne manquera pas d’être comparée. Ce rythme lui permet de développer un récit d’une grande sophistication, construit sur des allers et retours continus entre le passé et le présent. Le montage, volontiers elliptique, est accompagné d’une bande-son intense. Certaines scènes sont construites avec des moments présents et un futur très proche, de quelques secondes plus tard. D’autres au contraire nous ramènent huit ans plus tôt, au moment où la vie de Nessa a basculé à la suite d’un voyage en Cisjordanie. Là où les ennuis ont commencé pour cette figure sacrificielle prête à tout pour préserver sa fondation de la corruption, et par la même son rêve d’un Moyen-Orient pacifié. Autour des Stein s’agitent dans l’ombre tout un tas de protagonistes : le MI-6 largement mêlé à l’affaire, le Fatah, l’OLP, le Hamas ou encore le gouvernement israélien. Il faut rester bien concentré pour s’y retrouver au sein de cette intrigue touffue, qui n’en demeure pas moins plausible. «Who do you trust ?» demande Nessa Stein de sa voix claire et séduisante dans le pilote de la série. La question de la confiance est centrale dans la série. Elle représente un préambule indispensable pour mener à bien des projets dans cette zone où règnent la corruption et les trahisons. Mais la confiance peut être fatale à celle ou celui qui l’a placée en de mauvaises mains.

La réussite de The Honourable Woman doit beaucoup à ses interprètes impeccables, à commencer par Maggie Gyllenhaal. Elle possède une élégance naturelle qui colle au personnage de cette femme d’affaires au caractère complexe. L’actrice parvient à transmettre avec une égale justesse l’exhalation de Nessa l’idéaliste, mais aussi sa part d’ombre, beaucoup moins «honorable». Seul petit bémol dans cette interprétation subtile : l’apparent détachement de Nessa sur certaines scènes peut tenir le téléspectateur à distance. Aucun personnage dans cette série n’est tout noir ou tout blanc, et c’est bien ce qui fait sa force. Dans le rôle ambigu du frère plus impliqué qu’il n’y paraît, Andrew Buchan passe d’une certaine indolence à une prise d’autorité surprenante. Côté MI-6, on retiendra la performance de Stephen Rea, qui réussit à rendre sympathique un arriviste parfaitement détestable dans ses méthodes. Minisérie composée de huit épisodes, The Honourable Woman n’a pas fini de livrer tous ses secrets. Sur sa première moitié, elle s’inscrit en tout cas dans la lignée de ces thrillers british noirs et subtils (The Fall, Luther, Southcliffe, Top of the Lake) que le reste du monde leur envie. Vu le contexte politique actuel, il faut saluer l’initiative de la BBC. La chaîne publique anglaise n’a pas remis en question la diffusion de cette série. Si certaines scènes pourront choquer, voir être sujettes à interprétation selon les points de vue, The Honourable Woman a le bon goût de ne pas prendre parti, et de s’abstenir de tout manichéisme.