Après son remake efficace mais servile de Brön en saison 1, le défi de cette seconde saison de The Bridge était double: confirmer le potentiel entrevu en terme d’identité propre et, surtout, composer avec le départ de l’un de ses showrunners, Meredith Stiehm, apparemment partie avec les pistes narratives qu’elle avait lancées en fin de saison dernière suite à des bisbilles en writing room.

Cette nouvelle saison passe une bonne moitié de son temps à se chercher. Elle expérimente des choses qui ne sont pas toujours justifiées par quoi que ce soit, comme en témoigne ce début de saison en forme de flashforward, le recours répété à ce procédé relevant pour le coup plutôt de l’artifice que de l’outil narratif à la Breaking Bad. La série de Vince Gilligan est d’ailleurs l’une des références évidentes de The Bridge dans sa volonté de décrire, de façon souvent distanciée et allant contre les attentes des spectateurs, les rouages du trafic de drogue et cette plaque tournante qu’est la frontière entre El Paso au Texas et Juarez. Peu convaincante au départ, cette approche et les nouvelles storylines prennent de l’ampleur et se révèlent dans leur violence sèche et les ramifications complexes du scénario. C’est bien simple, The Bridge, toutes proportions gardées, se voit dorénavant comme un The Wire à la frontière américano-mexicaine doublée d’une parabole sur le Bien et le Mal.

Plus ambitieuse que la chasse au serial killer de l’année passée, cette saison 2 a pour point de départ la disparition de jeunes américains se retrouvant victimes collatérales des affaires du cartel. De là, le véritable sujet de la saison prend forme et analyse la co-dépendance des agences américaines (DEA, CIA, FBI et le reste de l’alphabet) avec le cartel qui reste une nébuleuse abstraite. Selon les auteurs, le cercle vicieux de la corruption au Mexique profite surtout à de grosses entreprises se sucrant au passage tandis que les narcotrafiquants sont des fantoches désignés et contrôlés par les USA, soucieux de contrôler ce qu’ils peuvent d’une “guerre contre la drogue” lancée il y a de ça une trentaine d’années. Une guerre dont la fin remettrait en question tout un système, jusqu’à l’existence même ces hommes qui continuent de jouer aux gendarmes et aux voleurs. Cette thématique était déjà brillamment traitée par Evan Wright, l’un des auteurs/producteurs de The Bridge, dans la mini-série Generation Kill qu’il avait co-écrite avec David Simon.

Dans cette démonstration implacable se croisent les trajectoires de personnages hauts en couleurs dont les développements s’avèrent très réjouissants. Si Diane Kruger est en retrait, le personnage de Demian Bechir, son homologue mexicain, prend une ampleur bienvenue et son combat contre la corruption et son passé trouble sont remarquables. L’apparition, sous les traits de Franka Potente, d’une redoutable tueuse mennonite amatrice de bit lit type Twilight à la solde du cartel et d’une multitude d’agents américains, interprétés par des spécialistes de ces seconds rôles (dont Abraham Benrubi, le fameux Kubiak de Parker Lewis, en ponte de la DEA amateur de Donjons & Dragons) auxquels ils apportent une couleur irrésistible est un ajout bienvenu à la série. Là encore, on pense à The Wire dans cette volonté de créer une galerie de personnages riches mémorables aptes à faire vivre la série. Malgré leurs efforts, la palme du personnage le plus saisissant revient à Fausto Galvan (Ramon Franco), ce terrifiant trafiquant mexicain aux allures de jardinier bedonnant qui, remis en question par la CIA, décide de réaliser son rêve (s’installer dans un pays scandinave) mais seulement après avoir raconté son histoire à « Oprah ou une pétasse de ce genre ». Avec ce genre de protagonistes apportant du coeur et un humour bienvenu à la série, The Bridge, malgré son inconséquence narrative, est un plaisir à suivre.

En revanche, cette seconde saison pêche dans sa déférence à la première qui se révèle être un boulet narratif. En passant une bonne partie de ces treize nouveaux épisodes à lancer de nouvelles intrigues tout en rappelant à notre bon souvenir la nuée de personnages de la saison une qui n’ont plus aucune raison d’être, The Bridge se fait laborieuse et sa capacité à faire un portrait atmosphérique en diable et très western moderne de son cadre ne cache pas forcément son indolence narrative. D’une intrigue inintéressante concernant le passé du personnage de Diane Kruger à la fin sanglante (et languissante) du tueur de la première saison, on peut sentir la maladresse et le malaise des scénaristes quand ils n’ont plus les rails de la saison une à suivre. Heureusement, The Bridge sait aussi faire table rase de son passé et se débarrasse, dans un bain de sang cartel-style, des personnages dont elle n’a jamais su quoi faire. Cela ressemble à un aveu d’échec mais rares sont les séries à oser être aussi expéditives. Avec les avancées de cette seconde saison, The Bridge devient, lentement mais sûrement, l’une des séries à suivre de la télévision américaine. Surtout débarassée de ce “boulet” qu’était Brön.