La “Lady Lazarus” du titre de cet épisode 8 de la saison 5 fait fortement penser au personnage de Megan. Elle sacrifie son existence dans un travail pour la faire renaître dans sa véritable passion, à savoir la comédie.

Elle obtient même l’approbation de son mari – Don Draper – pour reprendre sa carrière d’actrice. S’agit-il pour lui de projeter le regret de ne pas vivre sa propre existence mais celle d’un autre ?

Elle quitte l’agence non sans avoir réalisé quelques coups d’éclats sur les contrats dont elle avait la charge mais aussi avec le ressentiment de certains collaborateurs quant au fait d’abandonner un travail aussi important. Encore une fois, il est bon ton de se poser la question si le départ de Megan n’est pas une envie que certains aimeraient pouvoir imiter.

Alors que Don s’apprête à sortir de l’agence quelques instants après les adieux de Megan, les portes de l’ascenseur s’ouvrent sur une cage vide où le gouffre semble appeler Don comme une abysse.

Le vide.

Voilà ce qui semble symboliser au mieux les sentiments de Don Draper lorsqu’il est confronté à son existence. Parfois, plus rien ne résonne mis à part l’écho de ses fautes et de ses échecs. Ses réussites sont éphémères, son bonheur aussi.

Le vide aussi quand il essaye de comprendre le monde dans lequel il vit. Pour la jeunesse des années 60, il n’est qu’un vieux con de plus. Ses valeurs morales deviennent vite désuettes au contact de sa fille ou même de sa femme. Pour schématiser grossièrement, Don Draper est dans un monde qu’il ne comprend pas et qui ne le comprend plus. Il est de l’ancienne génération. Aussi, quand il confie à Megan sa méconnaissance de la culture populaire notamment auprès des jeunes, elle lui offre un élément de réponse sous une forme circulaire synthétique.

 

“Turn off your mind relax and float down stream”. Un véritable appel à la détente que semble entendre Don qui se laisse aller. Il tombe la veste, s’enfonce dans son fauteuil, un verre à la main. Après tout, il est – à l’instant présent – vivant. (“It is not dying, it is not dying.”)

Il est à noter que John Lennon a écrit les paroles de Tomorrow Never Knows sous l’influence du LSD mais aussi celles des écrits de Timothy Leary (notamment “The Psychedelic Experience” en rapport avec le livre tibétain des morts). Les paroles se répètent dans cette chanson agissant comme de véritables mantras aussi bien pour Lennon que pour l’auditeur. Aidées en cela par une maîtrise technique de l’ingénieur du son Geoff Emerick qui usa de subterfuges pour renforcer l’écho singulier du chant de John

(l’auteur de ces lignes ne saurait trop vous conseiller la lecture de son ouvrage “En studio avec les Beatles”).

Lorsque Megan offre à Don l’album Revolver, elle lui conseille d’écouter particulièrement ce titre. Ce qui est d’autant plus amusant qu’il conclut l’album mais fut aussi le symbole de la révolution que les Fab Four apportèrent à la musique.

Le montage de cette séquence de conclusion nous emmène ensuite vers le personnage de Peggy, encore affairée sur sa machine à écrire à l’agence. Elle cède à un joint, symbolique sixties de l’ouverture à de nouveaux horizons. (“Lay down all thought, surrender to the void.”)

Ce void (vide) qui renvoie au gouffre auquel Don fut confronté face à la cage d’ascenseur vide. Ce vide allégorique de son existence qu’il n’arrive pas à combler. Mais Lennon de nous conseiller, “surrender to the void”. Il faut céder à ce vide qui nous ouvre les bras, s’ouvrir à lui. Si les ambitions de Lennon, au premier abord, était d’évoquer la méditation, il fut clair pour George Harrison qu’il se trompait. Cette chanson parlait de quelque chose de plus fort encore : la transcendance.

Et comme pour rassurer l’auditeur sur ce vide qui l’attend, Lennon nous le répète : “It is shining, it is shining.” N’ayons pas peur, la lumière y est une récompense.

Nous voyons désormais Pete rejoindre sa voiture, encore peiné par un échec sentimental adultérin. Le visage de cet échec lui offre un réconfort des plus enfantins. Un coeur dessiné sur la buée d’une vitre. Son âme semble déjà se réchauffer. (“That you may see the meaning of within / It is being, it is being.”)

Don et Pete sont deux antagonistes mais la solitude de leur âme est ce qui les rapproche. La compréhension du soi intérieur (“the meaning of within”) En se projetant vers les femmes, notamment celles qui ne sont pas les leurs, ils désirent trouver ce bonheur qu’ils estiment leur être destiné. Mais ils ne peuvent supporter l’affront d’un échec. Pourtant, il est la figure de leur être. (“It is being, it is being”)

Megan s’épanouit dans son cours d’actorat. Elle a atteint le stade de l’existence qui lui était destinée (tout du moins, celle qu’elle estime avoir). Tout ira pour le mieux pour elle désormais. (“That love is all and love is everyone / It is knowing, it is knowing”)

Elle est l’antithèse de son mari, sa bonté est affirmée, elle croit en son prochain et au bonheur de chacun. (“Love is all and love is everyone”). Est-ce en cela qu’elle a atteint le niveau de transcendance qui lui permet de jouir de sentiments difficilement perceptibles et que d’autres n’ont pas encore touché ? C’est ce qu’elle pense savoir (“It is knowing, it is knowing”).

La main de Don vient arrêter le saphir en pleine lecture du vinyle. C’en est trop pour lui. Draper est “fermé” à ce monde actuel et ses thématiques qui l’assaillent. Il ne le comprend pas et le fait “taire”.

L’ironie de cette coupure veut que la suite des paroles sont caractéristiques du destin de Don Draper.
“And ignorance and hate may mourn the dead

It is believing, it is believing.”

L’ignorance et la haine peuvent bien pleurer les morts, elles en sont les plus belles orphelines. Don n’est pas (encore) ouvert à la croyance (“It is believing, it is believing”) et lorsqu’on l’invite vers elle, il la refuse.

Encore une fois, Lennon prodigue de nouveaux conseils.

“But listen to the color of your dreams,

It is not living, It is not living.

Or play the game Existence to the end,

Of the beginning, of the beginning”

Don ne doit pas renoncer à ses rêves, mais pas n’importe lesquels. Les colorés (“But listen to the color of your dreams”). En cela, ils s’opposent à ceux qui le ramènent à l’Enfer qu’il a vécu. Celui de Corée, celui de son enfance, celui de son monde qui tue ses espoirs (JFK un jour, Martin Luther King le lendemain). Tout simplement parce que rêver c’est vivre (“It is not living, It is not living.”).

Mais il reste le choix à Don de “jouer le jeu de l’existence” jusqu’à la fin. Jusqu’au (re)commencement.

Alors, la vie n’est qu’un jeu, que l’on doit éternellement reprendre depuis le début. Don Draper doit prendre conscience du fait qu’il doit céder au vide, rêver, s’ouvrir avant que le rideau ne tombe.

La transcendance attend Don Draper et lui ouvrira de nouveau les portes de l’existence. Et faire de lui un nouveau Lazare.

THE BEATLES – TOMORROW NEVER KNOWS (Album : REVOLVER – 1966 – Parlophone)

Turn off your mind, relax

And float down stream

It is not dying

It is not dying

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