Bryan Elsley, scénariste anglais, était l’invité de la cinquième édition du festival Séries Mania. Le créateur et showrunner de Skins y a présenté sa nouvelle série de dating, diffusée sur la chaine anglaise Channel 4 l’année dernière. Avec Dates, Bryan Elsley a l’ambition de réaliser « la série la plus simple possible » : deux inconnus ont fait connaissance par le biais d’un site de rencontre, c’est l’heure du premier rendez-vous. Neuf épisodes de 26 minutes explorent ce concept minimaliste, faisant défiler onze personnages dans un Tournez Manège à l’humour très british. Chronic’Art a rencontré le scénariste avant sa Master Class au Forum des Images pour parler de sa carrière, sa collaboration avec MTV et de son nouveau projet.

Comment s’est passé le passage de Skins à cette nouvelle série Dates?

C’était logique que je me remette enfin à écrire pour des adultes. Skins était une expérience géniale, mais j’avais envie de recommencer à travailler avec des adultes, avec des acteurs expérimentés. Je n’avais pas à leur dire quoi faire, à leur apprendre des choses, au contraire, je les ai beaucoup écoutés.

Comment est-ce que vous et votre équipe de scénaristes avez travaillé sur Dates ?

Pour Dates, il fallait de très bons scénaristes. Certains d’entre eux sont des scénaristes qui ont travaillé en tant que débutants sur Skins. Les autres sont des personnes avec qui j’avais très envie de travailler, des gens très talentueux, certains viennent du théâtre. Pour réunir une bonne équipe, il faut surtout suivre son instinct, trouver les bonnes personnes pour le bon projet.
Quand on a écrit Dates, il y avait certaines règles à respecter. Nous voulions que le spectateur assiste à tout le rendez-vous, on ne pouvait pas écrire une scène qui démarrait au milieu de la rencontre. Notre budget était très serré donc nous ne pouvions pas inclure trop de décors différents pour un seul épisode, mais cette contrainte a été une inspiration créative. Nos ateliers d’écritures étaient toujours très animés, passionnés, on lisait les épisodes à voix haute, on discutait beaucoup, on criait parfois… Chaque scénariste a écrit son épisode, et il était important qu’on respecte sa vision. On construisait les personnages en discutant, quelqu’un lance « J’ai envie d’écrire sur un médecin, j’ai un pote médecin, c’est un peu un connard mais je l’aime quand même. Il couche avec beaucoup de femmes, et j’aimerais écrire un personnage comme ça » et quelqu’un d’autre proposerait que ce soit une femme ou alors que ce personnage soit un médecin génial mais un être humain détestable. On discute jusqu’à ce que le personnage prenne forme et un des scénaristes écrit l’épisode. Ce qui était pratique sur Dates, c’est que les scénarios ne faisaient que 28 pages, et en travaillant dur, ca peut s’écrire en une journée. On se les lisait mutuellement et on pouvait le jeter, c’était très libérateur.

 

« Je voulais faire la série la plus simple possible »

De quoi vous êtes-vous inspiré pour écrire cette série ? Comment est-ce que vous vouliez vous positionner par rapport aux nombreuses web-séries qui abordent ce même sujet ?

Nous n’avons pas essayé d’être en opposition par rapport à ce qui avait déjà été fait sur ce thème, car pour nous l’idée du rendez-vous amoureux est venue après. Ma première idée, c’était de faire la série la plus simple possible et il m’a semblé que c’était deux personnes qui discutent. La performance des acteurs, les dialogues, c’est ça le plus important. Un monologue était possible mais ça a déjà été beaucoup fait au théâtre. Pour la télévision, ça reste encore original de filmer deux personnes qui se parlent et ce concept laisse la possibilité aux acteurs de jouer et de construire leurs personnages. On voulait se concentrer sur les personnages encore plus que sur leurs relations. Il existe plusieurs sortes de séries, celles où l’action est plus importante que les personnages, celles où la résolution du crime est le principal but… Moi, je m’intéresse à la façon dont les gens normaux sont peu communs. La vie de tous les jours est passionnante. Je ne pense pas que tout le monde devrait voir les choses comme ça, mais moi j’aime bien le faire.

Comment avez-vous fait vos recherches ?

Nous avons commencé par aller sur des sites de rencontre mais on a tellement peu appris que c’en était surprenant. On se connecte, on lit les profils, mais tous ces gens écrivent qu’ils sont fantastiques, incroyablement intelligents et sexy, qu’il faut absolument que vous les rencontriez. Les gens ne sont pas comme ça dans la vraie vie… Certains scénaristes connaissaient bien ces sites et cherchaient vraiment quelqu’un de cette façon. Ils avaient quelques bonnes anecdotes à raconter ! Les autres se moquaient souvent de moi parce que je n’ai jamais été à un premier rendez-vous. J’ai été marié deux fois, à 14 ans j’avais déjà une copine, ils pensent que je suis un handicapé émotionnel qui ne supporte pas d’être seul, ce qui est probablement vrai. Je ne suis jamais allé dans un bar pour faire connaissance avec quelqu’un que je n’avais jamais vu auparavant. Je n’avais pas vraiment d’expérience à apporter au sujet ! Pour moi, le rendez-vous parfait serait de sortir avec ma femme, sans les enfants, et de passer une heure dans un pub pour se parler comme des adultes.

Les personnages de Dates ne semblent pas très honnêtes…

J’ai voulu m’intéresser au masque que les gens portent lorsqu’ils rencontrent des étrangers. Le spectateur devine que c’est une façade parce que la caméra lui montre où regarder, et au fil des épisodes, celui qui regarde a l’impression d’être la personne la mieux renseignée de la relation, il devine quand les personnages mentent…

C’est surprenant de voir que finalement les adultes de Dates ne sont pas bien plus matures que les adolescents de Skins.

En fait, c’est complétement l’inverse. Les adolescents ont une certaine sagesse que les adultes ne reconnaissent pas. Ce sont des êtres extrêmement complexes et plutôt des gens vraiment formidables. On est tous compliqués et tous stupides : c’est ce que toutes les formes de fiction raconte constamment.

Vous avez crée ce personnage très conflictuel, Mia. Elle ne sait jamais vraiment ce qu’elle veut, est-ce que c’est quelque chose que vous avez tiré de vos observations ?

Non, je pense que c’était plutôt quelque chose d’instinctif. J’avais l’idée d’une personne tellement conflictuelle qu’elle ne saurait même pas si elle avait envie de rester ou de partir. C’est souvent comme ça dans une relation, personne n’est complètement sûr et tout le monde se pose des questions : est-ce que je devrais partir, ou rester…

Quand on parle de relations amoureuses en se concentrant sur deux personnages, est-ce que c’est plus difficile de ne pas créer de clichés ? Comment est-ce que vous avez essayé de les éviter ?

On essaie tous d’éviter les clichés mais c’est de la fiction et tôt ou tard c’est inévitable. C’est très difficile de prévoir comment une série va être reçue alors autant se détendre… Des choses que vous trouviez brillantes vont forcément s’avérer nulles à l’écran et d’autres que vous pensiez infaisables vont finalement avoir une profondeur. C’est ce qui est génial avec la fiction, vous pensez savoir ce que vous faites mais il y a toujours une part d’inconnu. Après Skins, j’étais décidé à ce que les personnages homosexuels soient écrits par des scénaristes homosexuels, pour éviter les clichés justement. Ca n’avait pas été possible sur Skins, la bonne personne n’était jamais présente au bon moment. L’épisode de Dates qui met en scène un couple de lesbiennes a été écrit par Jamie Chan, une Américaine d’origine chinoise, une très bonne amie à moi qui est homosexuelle et ce qu’elle a écrit est tiré de sa propre expérience. J’étais soulagé que ces sujets soient gérés par des gens qui savent de quoi ils parlent.

« Dates a quelque chose de très anglais »

Skins était une série très « british », est-ce que vous pensez que Dates est aussi connotée série anglaise ?

Oui, je pense que Dates a quelque chose de très anglais. La façon d’aborder un rendez-vous amoureux est différente selon le pays. J’ai vécu à New York pendant un an et certaines des amies de ma femme allaient souvent à des dates. Ca avait l’air vraiment formel, assez superficiel. La Grande-Bretagne est un endroit différent, peut-être plus libre et un peu plus cynique aussi, je pense que ça se sent dans la série. Si on avait fait Dates en France, il y aurait forcément quelque chose d’intrinsèquement français.

Dans le premier épisode de Dates, David et Mia se rencontrent, lui est conducteur de camion et elle est plutôt une londonienne middle-class. Pourtant le sujet des classes sociales n’est pas abordé.

J’étais très conscient de ça quand j’ai écrit cet épisode mais mon intention n’était pas d’ignorer la notion de classe sociale. C’est quelque chose d’extrêmement important en Angleterre, les gens ne pensent qu’à ça. Une grande partie de la culture anglaise est liée à cette notion de classe, à un certain snobisme et à des préjugés. Un Anglais peut regarder quelqu’un et savoir dans quelle école cette personne a étudié. Il peut parler à quelqu’un deux ou trois minutes et savoir d’où il vient, j’ai eu envie de jouer avec ça, d’en faire quelque chose de drôle. Le deuxième épisode met en scène ce trader de la City, et la plupart de ces mecs sont working-class, ce sont des self-made men, assez robustes, agressifs. Ils sont très différents de ceux qui dirigent les banques, qui eux viennent de riches familles cultivées. 

Certaines séries modernes, Sherlock sur la BBC par exemple, sont très « connectés », elles utilisent les communications modernes comme outils narratifs. Même si tous les personnages se sont rencontrés sur Internet, vous n’avez pas eu recours à ce procédé.

On ne voulait pas inclure ce genre de choses. Nous avions décidé que Internet et le monde des sites de rencontre n’étaient que des instruments. Vous pouvez envoyer des messages à quelqu’un, communiquer par emails ou parler sur Skype, il y a un moment où vous allez devoir rencontrer cette personne en vrai et c’est ça qui est important. On pensait que ce serait bien plus simple de laisser tout ça de côté et de se concentrer sur l’interaction humaine.

Pourquoi est-ce que vous avez choisi le format de 26mn ?

Nous savions que Dates allait passer à 22 heures et à ce moment de la soirée, est-ce que les gens ont envie de se mettre à regarder un épisode d’une heure ? Soit vous allez vous coucher, soit vous sortez – selon le genre de vie que vous menez. Mais je pense que c’est assez dur de regarder 45 ou 52 minutes de fiction à cette heure-ci donc on a préféré un format de 26mn.

Quel statut ont les scénaristes de séries en Angleterre ? Le modèle est-il plus proche du modèle français ou plutôt du modèle américain où les scénaristes règnent sur l’industrie de la fiction télévisée ?

L’industrie du cinéma français est importante mais en Grande-Bretagne c’est l’inverse. C’est la culture de la télévision qui prime ici. Tout le monde dit qu’au cinéma le réalisateur est roi et qu’à la télévision c’est le scénariste qui dirige. Je pense que c’est le cas. Je pense que ce monde est en train de changer et il y aura bientôt des formes hybrides de fiction. Je ne connais pas du tout les séries françaises mais il me semble qu’une industrie cinématographique aussi forte ne peut être qu’une bonne influence. 

Qu’est-ce que vous pensez d’une plateforme comme Netflix ?

J’aime penser qu’il y aura un jour une plateforme européenne telle que Netflix. L’industrie européenne dépend d’industries créatives fortes : l’Angleterre, la France, l’Italie, l’Allemagne… Il faut une plateforme crédible qui résulte d’une concertation unifié. Je ne sais pas comment et quand cela pourrait se passer mais je pense que la solution n’est pas de rejeter Netflix. Ces mecs sont intelligents, ils ont eu une bonne idée, ils l’ont réalisé, ils sont courageux et créatifs – et maintenant, riches. Comme toutes les entreprises, ils vont venir en Angleterre et en France et ramener les gens talentueux chez eux. C’est à nous de voir si on veut laisser cela arriver ou si l’on peut s’organiser. Je suis assez confiant, la télévision britannique est une industrie solide et j’ai du mal à penser à un cinéma plus fort que le cinéma Français. Il y a un très grand potentiel en Europe.

« Ca a été la pire année de ma vie »

Pourquoi est-ce que vous avez vendu le concept de Skins à MTV et non pas simplement la version originale ?

Je pense que c’était une terrible erreur. J’étais le producteur exécutif de cette version américaine de Skins. L’idée que les adolescents américains seraient ravis d’avoir leur version  de Skins était complétement fausse. Ils étaient parfaitement contents de leurs téléchargements illégaux du Skins anglais, ils trouvaient ça cool que ça vienne de l’étranger, ils n’avaient en aucun cas besoin que des jeunes de MTV leur racontent ces histoires. C’était une erreur de penser qu’ils ne l’avaient pas déjà vu. C’était en partie ma faute, je n’avais pas vu la chose de cette façon. Parfois, l’Amérique vous hypnotise. Travailler avec MTV a été horrible, c’était la pire année de ma vie.

 La Master Class de Bryan Elsley organisé à l’occasion de Séries Mania est en ligne ici.