Malgré la présence de Judd Apatow à la production et l’approche « normale » de son sujet mettant au rebut les it girls à la Katherine Heigl, Girls a toujours su tendre le bâton pour se faire battre. Festival de first world problems nombrilistes pour les uns, gratuitement provocatrice, résolument et agressivement exhibitionniste, voire  raciste pour les autres ; ces griefs ont souvent faussement défini une série qui n’était que l’oeuvre d’une auteure se mettant littéralement à nu. Taxé de fausseté et d’hypocrisie, ce surplus d’honnêteté a malheureusement fait disparaître Girls du radar de nombreux spectateurs alors qu’elle nous offre la plus stimulante de ses livraisons avec cette troisième saison.

Quand pratiquement toutes les séries tendent à célébrer l’union faisant la force contre vents et marées d’un groupe d’amis, Girls choisit la voie inverse. La chronique de la vie new-yorkaise de quelques jeunes privilégiées devient celle de la lente et inéluctable (mais ô combien lucide) désintégration d’une bande de copines. Ces filles savent très bien qu’elles ne seront pas amies dans dix ans. Cette idée sombre et lancinante plane sourdement sur la série depuis ses débuts et trouve son point d’orgue cette année avec l’épisode “Beach House”. Dans ce quasi huis clos, Shoshanna, d’ordinaire suiveuse enthousiaste, craque complètement et fait éclater le groupe de filles qui se disent leurs quatre vérités tout en restant “amies” pour les plus mauvaises raisons du monde. Dont l’habitude. En ne cherchant pas à être un échappatoire fictionnel et rassurant ou la promesse de lendemains meilleurs mais un simple constat aussi insidieusement honnête que maladroitement cruel sur ses personnages et ses spectateurs, Girls fait montre de son ambition, peut-être démesurée pour une jeune auteure comme Lena Dunham.

Mais en osant affronter son reflet, pas forcément flatteur, dans le miroir et en faisant admettre de façon désarmante à son personnage qu’il n’était qu’une voix, parmi d’autres, de la génération Y dès le pilote de la série, Dunham ne pouvait pas mieux définir la trajectoire, en apparence indolente, de son oeuvre. Comme l’Elephant de Gus Van Sant, Girls s’attache à disséquer ce moment de flottement entre l’adolescence et l’âge adulte. La troisième saison poursuit cette observation, comme en timelapse, de l’évolution de ses personnages tous au plus bas après une saison 2 digne de L’Empire Contre-Attaque dans ce qu’elle infligeait à ses protagonistes, que l’on retrouve ici à la recherche de la lumière au bout du long et lugubre tunnel de leurs existences.

Saison de la guérison selon Lena Dunham, cette troisième saison est aussi celle des réalisations. Hannah découvre le confort d’un travail plutôt cool et d’un salaire qui pourrait mettre en veilleuse son envie d’écrire et de créer. Maintenant qu’elle n’a plus rien à perdre, Marnie, la fille à qui tout aurait dû réussir dans la vie, comprend que l’image qu’elle a d’elle-même n’est pas celle que le monde s’est fait à son sujet et décide subitement de se lâcher et s’explorer. Même l’instable Adam se réalise en tant qu’artiste tandis que Jessa, personnage le plus délaissé de la série, tente de mettre en veilleuse ses pulsions de mort pour sauver plusieurs vies, à commencer par la sienne. Moins provocatrice et beaucoup plus mature et pertinente dans son développement singulier et osé de thématiques casse-gueules et souvent traitées à la louche ailleurs, Girls atteint des sommets de richesse et de complexité tout en conservant sa finesse d’écriture très romanesque.

Si aucun épisode de cette troisième saison n’a la qualité et l’étrange beauté éthérée du fameux “One Man’s Trash” de la seconde saison, la série gagne en rigueur narrative et en cohérence générale ce qu’elle perd en coups d’éclats. Alors qu’elle continue de nous balader d’une storyline à l’autre, Girls s’offre le luxe de nous cueillir avec un épisode final justifiant ces errements tout en nous révélant, comme une évidence, la thématique sous-jacente de la saison : quel est le prix à payer pour la poursuite d’un rêve ? Les éléments de réponse apportés tout au long de ces douze épisodes amènent une conclusion ouvertement lumineuse et positive à une série d’ordinaire plutôt prudente et douce amère. Comme quoi, l’âge adulte et la maturité sont peut-être la lumière au bout du tunnel.