Pour un auteur, rien de plus rageant que de s’investir dans l’écriture d’un projet, créer un univers, le peupler de personnages et d’histoires, le rendre aussi vivant et vivace que possible, s’imaginer ce que le résultat pourrait donner à l’écran et… laisser le projet au fond d’un tiroir. Développée dans les années 2000 par Vince Gilligan (Breaking Bad), Battle Creek n’avait pas trouvé preneur à l’époque. Dix ans plus tard, le succès des mésaventures de Walter White aidant, tout ce sur quoi l’auteur a apposé son nom devient soudain une hot property susceptible d’être marketée comme “la nouvelle série du créateur de Breaking Bad”. À tort ou à raison ?

La série dépeint la rencontre de Russ Agnew (Dean Winters, toujours parfait), détective acariâtre et arrogant cachant son coeur d’or (la présence de David Shore à l’écriture n’est pas étrangère à la caractérisation très Detective House du personnage) et de Milt Chamberlain (Josh Duhamel, fidèle à lui même), agent du FBI excellemment noté, gendre idéal et sérieux prétendant au titre d’homme de l’année, mystérieusement muté dans la petite ville de Battle Creek, Michigan. Coéquipiers malgré eux entourés de collègues disparates et “hauts en couleurs” selon des critères démodés (la chef perclue de problèmes personnels, le noir obèse pas bien vif, la secrétaire timide et amoureuse de son supérieur, etc), ils résolvent des “cas de la semaine” dignes du tout venant des séries policières.

Malheureusement, loin du high concept évident proposé par Breaking Bad ou certains de ses X-Files (l’épisode “Les Nouveaux Spartiates” reste un monument de thriller télévisé quinze ans après sa diffusion), Battle Creek ne dépasse pas le cadre du simple cop show tendance buddy movie bouffon. En abusants de la rivalité entre le flic old school n’ayant que sa plaque, son flingue et son sens de la rue et le côté star du lycée impeccable  à la pointe des gadgets et techniques d’investigation, la série de Gilligan et Shore ne fait pas long feu. Les vannes peu inspirées s’amoncellent tandis qu’on résout invariablement les affaires en cinq actes parfaitement cousus de fil blanc. Battle Creek s’enferme dans son propre carcan lorsqu’elle refuse même de prendre le risque de laisser ses personnages évoluer d’un iota, les confinant aux descriptions caricaturales qui devaient déjà être les leurs dans la bible de la série.

Après une dizaine d’épisodes où les deux héros se sauvent la mise pour retourner à leur status quo relationnel, la série semble n’être qu’une succession d’épisodes pilotes posant inlassablement les mêmes bases peu engageantes (Russ finira-t-il par sortir avec la secrétaire ? Mais qu’a fait Milt pour se retrouver à Battle Creek ? La chef va-t-elle renouer avec son fils adoptif avant qu’il finisse en prison ?) avec de petites variations qui peinent à créer un véritable intérêt. D’ores et déjà annulée par la CBS, cette série d’un autre temps aurait déjà eu du mal à faire illusion il y a dix ans pendant l’âge d’or des Experts et autres NCIS. En pleine crise créative des séries de networks, il aurait fallu un miracle pour que Battle Creek ne survive. A croire que la place de certains projets est au fond de tiroirs ou de disques durs…