Qu’il s’agisse de rivaliser avec le tableau (Bustamante), de s’inscrire en faux contre une conception de l’instantané (Jeff Wall), ou encore de donner à l’image un statut théorique, l’usage de la photographie est souvent démonstratif dans l’art contemporain. Elle peut également se trouver associée au souvenir autobiographique (Denis Roche), au documentaire (ce qui reste d’une action artistique), voire à l’illustration. En entrant chez Marian Goodman, on voit que les photographies exposées par Tacita Dean, artiste anglaise née en 1965, n’ont rien de démonstratif : immédiatement, on se prête à les regarder pour ce qu’elles sont -des images- et l’on ne songe pas à les interpréter par rapport à un quelconque enjeu esthétique.

La série de clichés, très bien exposée, provient de photos trouvées dans les marchés aux puces d’Europe et d’Amérique. Les images ne sont donc pas celles de l’artiste, mais anonymes, sélectionnées à travers des époques, des lieux et des lumières différents. Issues de la sphère privée qu’on ne peut relier à une histoire, ces photos se suffisent pourtant à elles-mêmes et laissent rêver le spectateur. Elles donnent immédiatement accès à la texture d’une époque alors qu’elles sont sans date, et à des vies particulières alors qu’elles n’appartiennent plus à personne. Ensemble, elles forment une collection sortie du silence des fleamarkets auxquels elles renvoient à cause de leur étrange statut d’œuvres qui n’en sont pas.

Dans la salle de projection située au niveau inférieur de la galerie, Tacita Dean diffuse le film qu’elle a réalisé dans le restaurant panoramique de la Tour de télévision de Berlin. Elle place sa caméra discrètement entre les allées et venues des serveurs, face aux vitres géantes donnant sur la ville, filmant ainsi les visiteurs qui contemplent l’horizon. Parfois, la caméra se déplace, elle regarde le comptoir rempli de tasses empilées. On voit se succéder les groupes débarqués pour admirer la vue en hauteur de Berlin à toutes les heures ; l’ouverture du restaurant, la mise en place pour le service, le coucher de soleil et la nuit constituent les moments forts de ce film. Une étrange atmosphère se dégage, rapport au tact impeccable des serveurs qui ne se laissent pas troubler par le plateau tournant du restaurant, et à l’impression de suspension du temps qu’on éprouve à circuler au-dessus d’une ville à 360°.

Véritables invitations à la contemplation, les images de Tacita Dean ne dictent rien, elles se laissent simplement porter par la détente du regard qu’elles procurent.