Rodolphe Bresdin est un de ces artistes, finalement peu nombreux, qui nous ont laissé une œuvre à part, forte, à la limite de l’intelligible. Dans un travail graphique exceptionnel, composé de gravures, dessins et lithographies, il figure un monde visionnaire, envahi par un fantastique qui pourrait rappeler Brueghel ou Bosch. Dans ce XIXe siècle en pleine émancipation artistique, il vit en marginal, dans un complet dénuement, comme cloîtré dans ses rêves. Il participe néanmoins à plusieurs reprises au Salon officiel. Et s’il fut remarqué et apprécié par de fins esprits comme Baudelaire, Théophile Gautier et Odilon Redon, son seul élève, il est aujourd’hui pratiquement inconnu du grand public. La présente exposition à la BN montre la quasi-totalité de son œuvre. Très bien présentée, sobre et didactique, elle est d’abord faite pour voir et regarder.

Proche de la miniature, les vignettes de Bresdin étonnent d’abord par la méticulosité de leur facture. Un paysage, une maison, des figures, une scène religieuse, tout y est relevé avec force détails, scrupuleusement dessiné ou gravé. Des petites loupes sont mises à disposition du public. On s’émerveille facilement. On pense parfois à Dürer. Mais là n’est pas l’essentiel de l’œuvre de Bresdin. Il est, certes, un virtuose du trait, mais surtout un conteur, un révélateur. Plus que de simples images, ses estampes sont à elles seules un monde. Un monde d’abondance : végétation luxuriante, intérieur de paysans gorgé de nourriture, architecture fantastique, foules de figures. Mais un monde entre rêve, hantise et obsession. La mort y est particulièrement présente et représentée. En prenant son temps, tout est lisible dans l’œuvre de Bresdin.

Revenons sur l’impression première, celle de ne rien y voir. Avant que ne surgisse de la matière, du noir de l’encre, une image. Cette nécessaire adaptation de notre perception, de notre œil, nous fait plier à sa volonté de considérer le monde, « son rêve »(O. Redon), par le petit trou de la serrure. Nous sommes effectivement en position de voyeur, on se penche, on scrute et on reconstitue un fragment d’un monde privé qui ne nous ressemble en rien. Sa vie de labeur et de misère a sans doute influencé les thèmes traités, accentué ses névroses. Tout ça est inquiétant, impose sa distance, met en cause d’une certaine manière les normes collectives de la vie en société. Plus encore aujourd’hui, pourrait-on dire, où fonctionnalisme et minimalisme architecturent toujours notre espace urbain et notre environnement social. A l’opposé de toute théorie, de tout intellectualisme, faisant fi du modernisme, l’œuvre de Bresdin est bien là une forme de résistance. Ce n’est pas seulement un romantique effarouché rêvant de voyage. La résistance, voire le « combat » (Bresdin) dont il montre les états, est celle qu’on doit mener pour préserver sa liberté contre tous les démons qui hantent mais aussi fertilisent la vie de tout un chacun. Le côté obscur et ambivalent de la force. A ce titre Bresdin est universel.