Lorsque l’on assiste à un concert de Ray Charles, on s’attend à vivre un moment d’exception. Exception parce que l’homme est une légende vivante du jazz. Exception aussi parce que l’homme n’est plus tout jeune -69 ans- et que l’on n’aura peut-être plus l’occasion de voir ce monstre sacré en live. Alors, on se cale confortablement dans son fauteuil, prêt à savourer chaque instant de l’événement. Un trio talentueux de Sud-Américains ouvre la première partie. Entracte. Des techniciens s’affairent sur scène. Derniers réglages ?
Apparemment c’est plus sérieux. On démonte un piano. On règle les lumières. On fait des tests micro devant 2 500 personnes amusées, d’abord, puis inquiètes. Le bricolage se prolonge. Le chef d’orchestre fait une inspection des lieux en bras de chemise et disparaît. Sont-ils enfin prêts ? Las, le public s’impatiente vraiment. L’Orchestre symphonique européen prend place. Tiens, pas de choristes ? Tant pis. Les grands classiques auront moins de pêche. Le show commence enfin. Entrée sur scène du Genius, vieil homme marqué physiquement. Emotion. Le timbre unique de sa voix prend rapidement possession du public.

La grande baffe nous arrive en pleine figure à peine 50 minutes après le début du spectacle (moins de 10 chansons). Ray Charles se lève, salue rapidement le public et est raccompagné en coulisses. Le public le couvre d’applaudissements, croyant à un entracte. On se délecte déjà de savoir que la star finira son show avec Hit the road, Jack et What’d I say. A peine perçoit-on la voix off qui nous souhaite une bonne nuit. Stupéfaction. Pour nous. Pour les musiciens aussi. L’espace de longues secondes, l’orchestre semble indécis. L’artiste fera-t-il un rappel ? Rien. Un par un, les musicos quittent la scène sous une huée de sifflets. Les pauvres. Piètre fin de spectacle pour une pointure pareille. On entend crier « Remboursez !… C’est une honte !… Un scandale ! ». Quelques spectateurs, encore saisis, hésitent à quitter leur siège. Tout le monde à peine à y croire. Peut-être encore plus ceux qui ont payé leur place près de 800 F pour s’approcher du mythe. On sort du Palais des Congrès avec un gros sentiment de déception mêlé de frustration. Je sais dorénavant pourquoi je ne verrai plus Ray Charles en concert. La légende est fatiguée.