A Los Angeles, en 1995, Muriel intervient dans des bus, par le biais de photographies d’individus se livrant à des soins offerts sur les trottoirs de Venice Beach -quartier de cette ville réputé pour ses cures- ; chaque image supportait un texte signifiant un état mental de ces individus.
En 1997, elle projette une vidéo en suspension, L’éclusière, au Mam (Musée d’art moderne) de Paris et dans une vitrine à Rotterdam, créant un espace où le spectateur est plongé dans l’insondable perception intime d’un corps immergé dans l’eau d’une piscine thermale.

A l’ENSBA, on pénètre dans son installation en montant des escaliers où l’on est pris à corps par de grandes affiches en couleur montrant des individus couverts de machines servant aux soins de la peau ; puis en fixant notre état sur une vidéo où les images et le son de conteneurs transportés et parqués en stock, alternent avec celles de corps livrés au parcours des soins curatifs. Enfin, en consolidant notre élévation au rythme d’une psalmodie silencieuse de visages en noir et blanc, bouches béantes, immergés dans des vapeurs d’inhalations.
Méthode thérapeutique particulière dans un temps conçu comme une attention de l’individu dans un espace entièrement consacré à son corps, on pourrait déceler dans la cure ce que Muriel énonce comme « une tension entre ce qu’est le corps, là, présent et… l’image mentale qu’on se fait, ce qu’on se crée (geste des mains vers le haut) comme impression de notre corps ».
Car, celui-ci serait, selon Muriel, un « réceptacle », le « témoin implacable du passage du temps sur nous-même » ; temps qui prendrait acte à travers les différentes phases de la cure conçues comme des courroies de transmission. Il s’y stabiliserait donc en une fonction psychologique du corps.

Ce dernier serait alors en position d’accuser le temps comme espace -et non comme durée- de conduction et d’accumulation d’événements qu’il subit et le rend effectif ; mais aussi comme présence à soi-même lorsqu’il s’agit d’un temps plus intime, une émotion vécue dans un imaginaire de soi.
« Nous allons de nous même vers ces moyens d’entretenir notre corps » dit-elle. Mais les images donnent aussi cette impression de soumission ou de manipulation ; qu’elles soient ce visage rivé dans un casque ou les conteneurs de la vidéo qui sous-tendent le transport des corps d’une façon purement mécanique, et de préciser alors : « C’est plus une aliénation qu’une soumission ».

Ainsi, au-delà d’une volonté d’embellissement physique, c’est un bien-être mental qui est recherché à travers la cure, une idée merveilleuse de l’être, une idéologie du corps portée à une dimension « onirique ».
Muriel suppose donc que « nous créons une nouvelle mythologie du corps » dans ces conditions. Comme si les onirismes qui se font en ces lieux voulaient prendre place à côté des images qu’ont imposé la philosophie antique ou le christianisme sur la condition de notre humaine « corporelléité ».
Si le fondement de certaines images réside ici dans cette ambiguïté entre une perte de l’effectivité du corps et un choix de son identité/fiction, la photographie s’impose alors de façon conséquente. En effet, « …c’est le pire des mensonges » nous dit Muriel, « parce qu’elle fait croire à quelque chose de réel, mais qui ne l’est finalement pas ».

Attestant pourtant l’existence de ce dont elle est l’image, la photographie peut être aussi rebelle à ce réel lorsqu’elle en est une manipulation ; l’épreuve des tirages couleurs en est un exemple : « ….au résultat tu peux choisir des couleurs qui n’ont rien avoir avec la réalité de ce que tu as photographié », confirme-t-elle, considérant aussi que « l’image est différente selon son dispositif ».
C’est donc au regard de ces manipulations et dispositions de l’image, entre l’exubérance physique des affiches et leur rougeoiement presque surréel, entre le cadrage du noir et blanc forçant sa présence et l’évaporation des visages qu’il contient, entre une pseudo-fixation et un mouvement de concert de l’image vidéo, que Muriel nous invite au cœur « d’un voyage au-delà du temps » où le corps vacille entre sa réalité et sa fiction, à ce qu’il faudrait nommer une intime émotion suspensive du corps.

Stéphane Léger

Diplômes 97
École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris
13, quai Malaquais, Paris 6e
jusqu’au 19 avril 1998, tous les jours sauf le lundi, de 13h à 19 h