La singularité de Félix Vallotton s’exprime avant tout par sa diversité. Ce paradoxe résume assez bien l’esprit de l’exposition consacrée à cet artiste tourmenté à la carrière éclectique.
Suisse émigré à Paris, Vallotton s’illustre rapidement comme graveur et dessinateur pour La Revue blanche. Ses gravures témoignent de l’acuité du regard que portait sur son temps cet engagé politique invétéré. Il aborde d’ailleurs avec la même agressivité vie publique et vie privée : la série de scènes d’intérieur (Intimités), d’une troublante modernité, recrée l’atmosphère confinée et étouffante liée, pour Vallotton, aux rapports hommes/femmes.

Inscrit à l’académie Julian, il y rencontre ses amis Pierre Bonnard, Paul Sérusier, Kerr-Xavier Roussel et Maurice Denis. Ces émules de Gauguin cherchent à se démarquer de l’impressionnisme en créant un nouveau style : le synthétisme, caractérisé par la simplification des formes et l’aplat des couleurs. Le mouvement Nabi est né. Vallotton est l’un de ses initiateurs mais, une fois de plus, il sort du rang : on ne retrouve pas dans ses peintures la confiante chaleur d’un Bonnard. Il garde au contraire une certaine distance avec son sujet. C’est particulièrement perceptible dans ses nombreux nus. Vallotton peint effectivement le corps féminin avec une précision presque irréelle dans le modelé qui fera l’admiration de ses pairs, mais on ressent comme un manque face à ces images trop parfaites qui ne laissent filtrer aucun sentiment. En revanche, dans ses compositions mythologiques, il se réapproprie des thèmes séculaires avec une subtilité et un humour piquant. Ainsi, même la scène biblique de Suzanne, espionnée au bain par deux vieillards rougeauds, prend une dimension comique.

Comme s’il craignait de lasser, Vallotton se renouvelle sans cesse. Après les scènes de batailles d’une intensité dramatique exceptionnelle, peintes de retour d’un séjour sur le front, il trouve l’apaisement et livre des paysages épurés qui semblent être l’aboutissement de ses expériences passées. Ses bords de Loire dégagent un calme irréel, magique, où l’on sent enfin pointer l’optimisme.

Eternel insatisfait, touche-à-tout, Vallotton est multiple. Déroutant aussi, puisque sa peinture n’a cessé d’évoluer et qu’il s’est essayé à des styles et à des techniques aux antipodes les uns des autres. A tel point qu’en parcourant les salles de cette exposition, on en vient à douter que toutes ces œuvres soient du même artiste. C’est pourquoi il est sans doute impossible de les aimer ou de les détester toutes. C’est précisément dans cette capacité à éveiller l’intérêt de personnalités différentes que réside la singularité de Vallotton.