L’exposition que consacre la galerie des Filles du Calvaire à la jeune Karina Bisch et à la renommée Renée Lévi suit l’engagement de ce lieu en faveur de la peinture contemporaine. On avait déjà vu Renée Lévi en mai 2000 à Mouans Sartoux dans une exposition intitulée Les Filles indignes de l’art concret où elle avait déjà recouvert de spray orange flashy certains murs du musée. La même technique est présentée ici entre trois pans de murs et sur des papiers, mais il semble plus rester une trace d’action qu’une œuvre. A l’étage supérieur, on trouve les peintures de Karina Bisch pour une première exposition personnelle intitulée Monumental. La première surprise vient du titre : alors qu’on s’attend à de grands formats envahissants, on en voit une vingtaine de petits qui ne dépassent pas les 80 cm de haut ou de large. Sagement alignés, ils proposent des arrangements abstraits aux couleurs souvent douces qui reprennent le motif de la grille et le croisement des lignes. Jusque-là, rien qu’une sorte de Mondrian revisité de nos villes d’aujourd’hui. Mais l’intérêt tient à la matière de ces peintures : elles sont gonflées par leur charge, boursouflées et souples à la fois. Ses lignes tracées à main levée font alors songer à certaines toiles de Guston, et ses tableaux, à des réparations de surface peintes. Quand elle plaque une masse grise sur des lignes pointillées vertes, Karina Bisch semble panser les plaies de la peinture. Elle part du relevé de façades existantes qui ressemblent, selon elle, tellement à des peintures qu’il serait absurde de croire en une autonomie de ce médium. La géométrie des lignes est ramollie par l’épais enduit dont elle recouvre ses toiles qui prennent alors une respiration dépassant le projet initial. La première petite peinture à l’entrée reproduit le dessin de Robert Venturi I am a monument, petit bijou de la critique architecturale de Las Vegas et excellent exergue à cette exposition.

Mais le monument reconnu des galeries actuellement, c’est la grande Louise Bourgeois à laquelle la galerie Karsten Greve consacre une exposition. A l’entrée de ce magnifique espace, une petite poupée cousue de fils roses est suspendue, figure perdue rendue monumentale par son ombre. De part et d’autre, deux cellules : une grande faite de grillage dans laquelle sont suspendus des tissus bleus, une vieille tapisserie râpée ; une araignée est accrochée à l’une des parois, un tissu beige posé sur un petit siège laisse voir des pieds de bronze et un carreau de marbre est surmonté d’oreilles de lapin. Comme ses parents étaient tapissiers, c’est une manière de les associer à toutes ces couches de mémoire. L’autre cellule est plus intéressante : dans une structure de fer et de verre, une soupière posée sur une table est surmontée d’une grille sur laquelle est posée une tête cousue de noir et de blanc. Par ce montage surréaliste, Louise Bourgeois propose une vision de la sculpture vieillie et patinée par le gris foncé des matériaux. Cette tête repose sur des pieds transformés en socles, ceux de la cellule, de la table et de la soupière qui l’élèvent tout en l’isolant. Dans le reste de la galerie, on trouvera des dessins érotiques simples et drôles, une sculpture de marbre surprenante à deux bras et un grand miroir déformé en profil de capsule de canette. Voir l’œuvre de Louise Bourgeois permet de mesurer combien la survivance du surréalisme tient dans d’autres formes que celles de l’image. Cet art qui s’inspire de la vie intérieure de l’artiste, de son enfance et de son imaginaire, et produit par une incroyable liberté, répond à une nécessité intérieure qui ne tombe pas dans le piège de la petite histoire. Ce travail convertit les forces psychiques de l’artiste en œuvre de fiction grâce à l’amour qu’elle porte aux matières et aux formes. Quelle sublimation réussie !