Le travail photographique de Johan Van der Keuken était resté jusqu’à présent dans l’ombre de ses films, dans leur écho. Origine, prolongement, excroissance, électron libre, injustement considérée par les censeurs de la photographie, cette part du travail du cinéaste est l’objet d’un hommage rendu par la Galerie Agathe Gaillard au réalisateur hollandais, décédé en janvier dernier à l’âge de 62 ans.

Pourtant la pratique de la photographie est déterminante pour Van der Keuken, en ce qu’elle précède et accompagne son oeuvre de cinéaste, comme un ami fidèle et discret. Initié par son grand-père à cette technique à l’âge de douze ans, il publie son premier ouvrage, Nous avons dix-sept ans, cinq ans plus tard. A la suite de cette publication, il reçoit une bourse et vient en France suivre les cours de l’IDHEC. La photographie n’y fait pas encore l’objet d’un enseignement propre.
Tacitement liés, le cinéma et la photographie font rarement bon ménage, moins par impossibilité de principe que par la place que s’accordent les deux disciplines, faux jumeaux puisant à la même source la matière de leur identité. Chez Van der Keuken cette dualité s’efface devant la puissance des images. Le photographe ne s’égare pas et cerne son territoire en composant avec les moyens que lui propose le médium. La photographie, à la différence du cinéma, doit tout dire en une image, frapper avec assez de justesse pour saisir le regard et le rassasier.

Procéder à l’inventaire des objets photographiques de Van der Keuken aboutirait à une liste aux composants multiples, diffus. Ses photographies se détachent les unes des autres, abordent avec la même qualité et la même liberté de nombreuses strates du visible. Le réel dans toute son étendue constitue son objet et, sans le surcharger d’effets, il tente d’en dégager la forme de l’imperceptible. Ses photographies n’étonnent pas, ne cherchent pas l’expression, ne s’arrêtent pas à l’anecdote. Elles échappent à toute qualification, à une classification de style. Constater la justesse du portrait de la femme à l’enfant, du paysage en ruine, de la séance de travail du sculpteur et de son modèle, du portrait d’adolescent à l’ombre d’un feuillage, revient à consigner une forme aboutie, autonome, à la lisière de l’indicible. Considérant la photographie comme une « vision de l’insaisissable derrière le perceptible », le photographe va chercher dans le visible et dans ce qui l’authentifie : la concrétisation de l’immatériel.

Parmi les pièces exposées, Le Cri espagnol, -un ensemble inédit composé de douze photographies noir et blanc et couleur réalisé en 2000- témoigne particulièrement de l’art de Van der Keuken. Entre extase et passion, il parvient à faire naître de ces photographies une vision expressive d’une culture, alternant sacré et profane, sans jamais tomber dans le lieu commun d’une imagerie pesante. Avec des moyens proprement photographiques, Van der Keuken fait vibrer subtilement, en allant au plus juste de la forme, l’évanescence des émotions, irréductible au seul savoir.