L’idée avait été lancée par le Patrimoine photographique : proposer à des photographes actuels de travailler à partir d’épreuves qui les avaient particulièrement touchés ou impressionnés. Joël-Peter Witkin fut le seul à s’emparer du projet et devient donc le disciple de cette exposition ; les maîtres (car il y en a un certain nombre malgré ce que laisse présager le titre) se nomment Man Ray, Lewis Carroll, Brassaï, Walker Evans, etc. Les œuvres fonctionnent donc par paires tout au long de l’exposition, et les paires elles-mêmes fonctionnent essentiellement grâce aux textes qui accompagnent chacune d’elles.
Les photographies de Witkin mettent en scène, avec de réels soucis de composition, des personnes dont la majorité ont un handicap physique, des cadavres ou des membres amputés. On balance donc entre des photographies très travaillées, retouchées afin de leur donner un aspect pictural riche, chargées de références à l’histoire de l’art, et, tout bonnement, des mises en scène de femme tronc, d’hermaphrodites, de nourrisson mort. On balance entre la désagréable sensation que l’on veut nous effrayer et nous surprendre en nous montrant « des monstres de foire » et la question, enfin bien posée par ce travail : et si la beauté ne se trouvait effectivement pas dans des concours de beauté ?

L’exposition place le spectateur dans une position assez incommode : elle crée un intérêt réel et sincère pour les modèles dont Witkin raconte, dans de beaux textes, l’existence tout à fait singulière, des vies bousculées, chargées d’humanité. Et pourtant, on ne peut s’empêcher de penser que cette exposition fait appel à ce qu’il y a de voyeur dans chacun de nous. Les textes, si touchants soient-ils, en appellent à une certaine curiosité qui n’est peut-être pas toujours défendable. D’autant que l’éclairage de l’exposition, très théâtralisé, dans des tonalités tamisées de mauve -couleurs de deuil…-, ajoute à coup sûr à cet aspect qui rappelle le Grand-Guignol. Avec cette exposition, le Patrimoine photographique trouve un bon moyen de dépoussiérer son image, il ne fallait donc pas lésiner sur les effets.
Difficile, donc, d’avoir une opinion parfaitement tranchée sur cette exposition. On imagine cependant très bien que Witkin possède son lot de détracteurs et d’aficionados, bien sûr, mais, en dépassionnant le discours, il reste beaucoup de questions, expressions d’un certain malaise. Peut-être celui-ci vient-il de la perfection avec laquelle Witkin utilise son médium afin de nous donner à voir l’horrible qui transparaît à travers toutes ces photographies que l’on croyait innocentes mais que l’on regardait finalement sans bien voir.