Les Preuves du temps : malgré le jeu de mot lacanien (l’épreuve du temps ? les preuves du tant ?), le titre de la rétrospective consacrée à l’oeuvre photographique de Denis Roche paraît réducteur. De la même manière qu’il semble dommage d’isoler sa production plastique de ses autres activités : écrivain, poète, éditeur… Si les photographies de Denis Roche ont incontestablement à voir avec le temps (mais n’est-ce pas le cas de toute photographie ?), c’est à leur impureté, au croisement qu’elles opèrent entre de multiples problématiques, qu’elles doivent une bonne part de leur intérêt : autobiographie, point de vue réflexif sur le médium, jeu sur le hasard et fatalement prise en compte du facteur temps. Ces propositions apparemment divergentes trouvent leur cohérence dans une recherche de type littéraire déplacée vers le champ photographique.

L’attention portée aux chambres d’hôtel ou aux lieux de villégiature comme les autoportraits, pourraient faire passer Denis Roche pour un descendant de Lartigue et un prédécesseur de Nan Goldin. Mais bien plus, on pense au journal intime, à la mode ces temps-ci. C’est évidemment là, dans le désir d’autobiographie, que la notion de temps se déploie. Pourtant, elle reste en quelque sorte extérieure à l’image : légendes précisément datées, marques de l’âge sur le visage de l’auteur, retour sur de mêmes lieux à des années de distance… Les nus prennent logiquement place dans ce projet. Si l’on comprend le désir de ne pas faire abstraction de la sexualité, ces photos sont pourtant faibles : dans le genre sur-codé du nu féminin, l’à-peu-près n’a pas sa place. L’intervalle entre le style léché d’un Weston et le trash d’une Delphine Kreuter est une impasse.

Bien plus intéressante est l’interrogation de type moderniste sur la pratique et les codes de la photographie : vitres, miroirs ou ombres sont alors sollicités ; jusqu’à des images incluant un appareil photo dans le champs (parfois le dispositif prévoit que l’image soit enregistrée au travers du dépoli d’un appareil placé dans le champs) qui renvoient alors vers une analyse de type structuraliste, quelque part entre Barthes et Genette.

Le hasard contrôlé (mais jamais un coup de dés ne l’abolira : pratique surréaliste bien connue !) se retrouve dans le choix de présenter des tirages de deux contacts successifs. Parfois cohérentes, souvent surprenantes, ces associations d’images sont l’une des formes les plus abouties produites par Denis Roche : la création d’un langage expressif (les éléments ne prennent leur puissance que dans leur mise en relation). Autrement dit, il pourrait s’agir d’une définition de la poésie.

Les différentes pistes qu’explore Denis Roche imposent une lecture particulière de sa démarche photographique : sa recherche est littéraire. Pas dans sa forme, qui exploite strictement les possibilités du médium, mais dans son mode de conception et de présentation. L’unité et l’unicité de son travail résident dans la porosité entre disciplines, dans l’introduction dans le domaine de l’image, de réflexions venues de l’univers des sciences humaines des années 60-70. Dommage que l’exposition ne mette pas en avant cette dimension.