Qu’y a-t-il de commun entre un coin de Central Park et un pont de Paris, entre la baie de l’Hudson et le quai de Bercy ? Qu’y a-t-il de commun entre Eugène Atget, Lee Friedlander ou Dieter Appelt ? A priori peu de choses. L’exposition intitulée Atget le pionnier, que l’hôtel de Sully consacre au photographe parisien, voudrait pourtant nous persuader du contraire. Les clichés du photographe, ses célèbres rues de Paris immortalisées dans la brume matinale, sa série de devantures et vitrines, ses portraits d’artisans et ouvriers, nous sont présentés en regard d’autres œuvres fort diverses qui sembleraient en être plus ou moins directement inspirées. Ainsi, un range-bouteille de Marcel Duchamp répond à un détail de ferronnerie d’Eugène Atget ; une machine-outil de Paul Strand côtoie une nature morte de Dieter Appelt.

Il s’agit ici de souligner la vocation moderniste du regard d’Atget, d’en dégager une cohérence esthétique pour dépasser le cadre désuet de la photographie documentaire à laquelle on a toujours voulu le cantonner. Cette mise en perspective permet de porter une attention toute nouvelle aux clichés les plus galvaudés. Sa série de cours intérieures, par exemple, enchevêtrement d’escaliers, de gouttières, de colimaçons, acquiert une autre dimension. On peut y voir une variation infinie autour du thème de la verticalité. On peut, de la même façon, lire sa série de rampes métalliques comme une réflexion autour du motif de l’ornement et de la linéarité, sa série de vitrines comme une interrogation sur la nature profonde du reflet. On peut aussi se laisser aller au plaisir subtil de comparer les différentes « saisies » de lumière : lumière poudrée d’Atget, grand maître des douceurs de l’aurore ; contraste marqué de Fridlander ; transparence de Walker Evans.

Enfin, si certains rapprochements ponctuels ne paraissent pas toujours évidents au premier abord, on peut considérer que dans sa globalité, cette démarche permet d’appréhender une œuvre dans ce qu’elle a de plus fascinant : le détail.