Après avoir electro-évangélisé le monde au son de ses Rythmes Digitales, Jacques Lu Cont s’est enfermé dans ses studios (Reading et Maida Vale) pour mûrir durant une année une synthèse musicale inattendue qu’il dévoile aujourd’hui sous le surprenant patronyme de Zoot Woman. En digérant en bloc la froideur des rythmiques de Kraftwerk, quelques influences rétro (Freeze, Human League) ainsi qu’un souci du détail dans la production pioché chez Daryl Hall & John Oates, ce nouvel effort discographique recrée, à la faveur d’un revival des sons et attitudes des années 80, un mixage ultra-moderne de mélodies pop démodées et de science techno. Mais, alors que Les Rythmes Digitales était un concept plutôt orientée vers la musique de club, Zoot Woman est une expérience de groupe, plus largement basée sur l’attitude et la composition rock. Sortent aujourd’hui de ces studios, trois types fardés façon mid-80’s, fièrement vêtus de costards blancs, et arborant un sourire cynique qui fait largement écho au titre de l’album.

En dépit de cette attitude rétro, le propos de Living in a magazine n’est pas de porter à la face du public une nostalgie de ces années prolixes en expérimentations sonores, mais plutôt d’en étendre le principe à l’aune des possibilités électroniques de ce début de siècle, tout en conservant un goût prononcé pour des mélodies addictives et dansantes. Dès les premières notes de It’s automatic, on perçoit l’idée soigneusement pensée d’une extension du domaine des années 80 en version numérique. Mais à y regarder de plus près, la formation, composée des frères Blake (Johnny à la guitare, Adam aux claviers), et d’un Jacques « LRD » Lu Cont (planqué sous le pseudo de Stuart Price) maniant sèchement une basse minimaliste, pose ici un concept artistique total dont la musique n’est que la partie la plus saillante. Tout, des paroles étonnamment cyniques aux riffs soigneusement apprêtés, en passant par l’image parfaitement numérisée du groupe (autant dans son attitude scénique que dans ses clips), fait signe vers un monde masterisé par le cerveau insolent de quelque machine (la reprise dépoussiérée du Model de Kraftwerk, traversée par une guitare métallique). Bavant leurs sons sur la société du spectacle et le trop-plein d’informations qui l’accompagne, ils épinglent en musique un monde factice où tout est virtuel : les paroles, les relations humaines, les lettres d’amour, etc. (Nobody knows).

La conception de leur musique fait d’ailleurs bizarrement écho à ces sombres idées. Dans ce monde indifférencié, façonné par des médias électroniques, même les éléments musicaux se mêlent, sans qu’on soit capable de faire la part des choses et de comprendre qui joue quoi. Entre guitares bidouillées et synthétiseurs aux mille voix, on parvient difficilement (voire pas du tout sur certains titres) à faire la part des choses entre ces diverses idées musicales muées en un tout étonnamment soudé, à l’image du riff central de Living in a magazine. Soutenu par une rythmique froide et minimaliste, le son de Zoot Woman recrée autour de ses idées rétro disséquées, étudiées et digérées, une pop moderne millimétrée, presque automatique -quelques notes rappellent par moments les mélodies de Roxy Music. Volontairement stupide par endroits, l’album crie haut et fort l’abrutissement inéluctable dans lequel notre monde se jette avec frénésie. Les accents misérabilistes et plaintifs de la voix aseptisée d’un Johnny Blake obsédé par la chose médiatique, épinglant au passage nos manies consuméristes, referment la boucle.

On regrettera parfois que l’album s’étire en longueur au son de riffs un peu trop semblables, tombant dans quelques redites vers la fin de l’album (Jessie). Malgré tout, par le truchement d’une démarche artistique impeccable, Zoot Woman est parvenu à créer un concept violemment pertinent et peaufiné jusque dans ses moindres détails. Une idée qui ne manquera pas de nous faire gamberger, sans laisser de côté nos envies de dancefloor.