Dans certaines langues du Vanuatu, comme l’araki et le mavea, le tréma est utilisé par les linguistes pour représenter les consonnes linguo-labiales. Dans le reste du monde, il s’agit plutôt d’une affaire de voyelle, quand bien même un débat subsiste sur le classement du [y]. En France, le rôle du tréma a évolué avec la Réforme de l’Orthographe de 1990 et orne les noms de grands auteurs contemporains et d’un groupe d’exception.

Trois ans après son dernier album, Zëro revient avec ce qu’il convient de considérer comme son disque le plus percutant, mais aussi le plus abouti : vingt-cinq minutes d’une tension haletante oscillant entre fureur et ambiances atmosphériques. Album, mini-album ou EP, peu importe, Places Where We Go In Dreams classe définitivement Zëro et ses auteurs (Eric Aldéa, François Cuilleron, Franck Laurino, Ivan Chiossone) dans le cercle restreint des très grands groupes français.


Places Where We Go In Dreams sort sur Ici D’Ailleurs, comme les précédentes productions du groupe : l’excellent (et trop souvent décrit comme seulement « prometteur ») Joke Box, accueilli en 2007 avec une joie sans nom par tous les fans de Bästard, l’éloquent Diesel Dead Machine en 2009 et l’efficace (et peut-être un poil moins brillant) Hungry Dogs (In The Backyard) en 2011. Il est compliqué d’évoquer Zëro sans faire allusion aux Deity Guns d’Aldéa et Laurino (et conseiller Stroboscopy ou Trans Lines Appointment) et au groupe-phare des années 90 : Bästard (la troïka Aldéa, Cuilleron, Laurino entre autres). En cas de perte, d’étourderie ou d’exil prolongé, Ici D’Ailleurs peut encore vous permettre de vous procurer The Acoustic Machine, anthologie de ces champions de l’ambiance torturée. Une décennie plus tard est apparu Zëro.

L’héritage de Bästard ne se résume pas à un tréma. Places Where We Go In Dreams est la démonstration sans ambiguïté du talent de musiciens qui ont su faire fonds de leur patrimoine des années passées pour réaliser ce disque racé. Les guitares et les basses, obsédantes, saccadées, coïncident dans un coït effréné et stoïque de riffs obsédants. « Uprising » donne le ton d’emblée : Zëro va à l’essentiel, avec aisance, assurance et efficacité. Eric Aldéa révèle toute la dimension de son talent de vocaliste, rageur ou posé comme un Brian Mac Mahan sur le fascinant « Horse Race Guru ». « Minimal Men » insiste sur la mélodie avec son refrain impeccable et le chaotique et heurté « Swimming With Sharks » rappelle que la tension est le pilier d’un album présenté par ses créateurs comme le plus immédiat et le plus éloquent de leur discographie. Il serait légitime d’ajouter « riche » et « spontané ».

Sans tout révéler, le morceau final justifie à lui seul le titre obsédant de l’album. En dépit de son format court, plusieurs écoutes de Places Where We Go In Dreams suffisent à convaincre qu’il s’agit bien d’un des meilleurs disques de 2014.