Curieux homme que cet Yvinek, breton d’à peine quarante ans connu sous son patronyme civil (Daniel Yvinec) par les lecteurs de Jazz Magazine où il signe régulièrement textes et entretiens, contrebassiste nomade aux expériences on ne peut plus variées (rien en commun à première vue entre des séances studio derrière Francis Cabrel et une tournée avec Salif Keita, des concerts avec Maceo Parker à la fin des 80’s et des collaborations avec Ryuichi Sakamoto ou John Cale durant la décennie suivante) et, désormais, auteur d’un premier album à la croisée des chemins qu’on résumera, pour aller vite et cadrer grossièrement les choses, comme faisant partie de ce que l’on a entendu de plus convaincant à ce jour au rayon des musiques où se mêlent l’électronique et l’acoustique, le Mac et la Gibson, le sampler et les cordes. Recycling the future n’en manque ni des uns (le pianiste et bidouilleur Pierre-Alain Goualch s’est vu confier la gestion des écrans, claviers et quincailleries en tous genres), ni des autres (un orchestre à cordes est de la partie, magnifiquement intégré au bain de boucles et de sons qui forme la pâte du disque), et va même chercher beaucoup plus loin : un rapide coup d’oeil sur les crédits laissera constater le nombre et la diversité des intervenants (côté jazzmen hexagonaux, on mentionnera l’harmoniciste Olivier Ker Ourio et le saxophoniste Eric Seva) et, surtout, celle des instruments et objets à sons convoqués, exotiques (bendir, sarod, ney et autres) ou incongrus (en anglais : « flower pots », « toys and buzzes », « cars and other vehicles »).

On pourrait se croire sur des terres proches des cocasseries poétiques chères aux artistes, par exemple, mais on en est en réalité assez loin : l’univers d’Yvinek est volontiers mystique, empreint d’une étrangeté qui doit beaucoup à la dimension parfaitement originale et inouïe des atmosphères et des sons mis en scène dans les onze voyages auxquels il invite. Soupçon de strings’n’beat ici, langueur electro là, fragments de sons travaillés, découpés, torturés, transformés, solo d’harmonica puis de piano : les couleurs sont surréalistes, la production impeccable (à écouter sur une bonne chaîne hifi, dans un canapé profond et dans le noir), l’ambiance indéfinissable. Yvinek avoue une admiration de longue date pour Brian Eno et Jon Hassel : on rangera Recycling the future entre Music for airports, un Roxy Music au choix et quelques autres du même tonneau, pour le ressortir sitôt que se fera sentir le besoin de s’évader un peu.