Le contrebassiste Yves Rousseau, dont le nom aura été pendant quinze ans associé à celui du vibraphoniste Franck Tortiller et à des projets musicaux qui, de Jours de fête -en hommage à Jacques Tati- à Pour Invalides changer à Opéra, se sont signalés par leur sens du spectacle et leur originalité, se présente à quarante ans à la tête d’une formation dont il est l’unique leader. Cet album, Fées et gestes, pourrait bien marquer son accession au rang des contrebassistes meneurs d’hommes. La première qualité de ce nouveau quartet, qui saute aux oreilles dès les premiers instants, est en effet sa couleur. Personne jusqu’ici n’avait réussi à proposer l’alliage audacieux des sonorités du violon et des saxophones alto et soprano sans qu’il paraisse malencontreux. Grâce à sa maîtrise des anches, Jean-Marc Larché sait se donner un étonnant « boisé » et user de timbres contrastés proches des cordes (ainsi durant Avant le jour, on croirait entendre un violoncelle) qui rendent superbe le mariage de ses instruments avec les tendres meurtrissures du violon de Régis Huby. Le batteur Christophe Marguet, et son impressionnant art du drive sous-entendu, laisse s’épanouir ces sons inédits auxquels il ajoute ses taches de lumière à fleur de cymbales, tandis que la contrebasse de Rousseau apporte son lyrisme au confluent du classique et du jazz d’une noble élégance. Des gestes précis développés auprès de Jean-François Jenny-Clarke.

La seconde qualité, qui se dégage plage après plage, est la densité des compositions signées par le leader. Pour la première fois, Yves Rousseau se lance dans l’aventure de faire jouer sa musique par ses meilleurs amis et l’on découvre quel étonnant inventeur d’univers il est. Paysage de brume aux lumières aurorales, comme celui de la pochette, atmosphère de légendes comme le suggèrent les titres et une citation tirée de La Grande Encyclopédie des lutins, c’est à un certain onirisme que Rousseau et ses compagnons donnent vie, à l’aide de jeux de stridences, d’effets d’impatiences qui se résolvent avec bonheur dans le développement de mélodies d’une tendre retenue, interprétées avec une grande fluidité (voir les éblouissants Jardins de corail). Ainsi s’élève, dès les premières minutes du Vieux peintre, la composition inaugurale, une forme de chant que l’on entend peu et qui s’apprécie d’autant plus. De La Tour cassée, sorte de valse bancale sur laquelle Larché joue les funambules ivres, aux pas hésitants autant qu’élastiques, à la suite Fées et gestes qui s’achève par un embrassement collectif aux reflets hispanisants, on pourra apprécier l’exigence que mettent les quatre hommes à faire naître une musique véritablement enchanteresse et les presser de livrer un second chapitre de leurs pérégrinations fabuleuses.

Jean Marc Larché (ss, as), Régis Huby (vln), Yves Rousseau (b), Christophe Marguet (dm). Septembre 2000, La Buissonne.