Tour à tour associé à l’underground et exposé au pinceau des sunlights médiatiques, le nom de Yoshihiro Hanno est zébré d’ombres et de lumières. Depuis King of may (Sub Rosa, 1997), ce compositeur d’Osaka semble avoir trouvé une vitesse de croisière à la hauteur de son appétence musicale. A raison de trois albums par an (avec un léger fléchissement en 1999, année où il signe la bande son des Fleurs de Shanghai de Hou Hsia-Hsien), Hanno montre à sa manière que quantité peut parfois rimer avec qualité. Responsable des labels Current et Cirque, auteur de la musique de Platform (du réalisateur Jia Zhang-ke), membre de Code (le groupe de Ryuichi Sakamoto), il se paie encore le luxe d’être remixé par Christophe Charles et Oval sur April remixes (Cirque, 2001) sans jamais fermer l’huis de son salon VIP à de plus jeunes artistes, comme lorsqu’il collabore ou se produit avec Aoki Takamasa, hier moitié de Silicom (avec Takagi Masakatsu), aujourd’hui auteur en solo de disques fortement conseillés.

Fin 2002, au moment où le festival parisien « Tokyo Zone » invitait Hanno à accompagner sur son laptop un classique d’Ozu (Une Auberge à Tokyo), des lieux de création (galerie Maisonneuve, Mains d’Oeuvres…) diffusaient .+, l’énigme opaline qu’il avait composée pour le film Th.+ de Yuki Kawamura, vidéaste aux « images-flux » insaisissables. Or, il se trouve que c’est sur les nappes irisées de ce morceau (.+) que se referme 9 Modules .+, le 12e disque (ou 13e, on s’y perd) de Hanno.

Comme son nom l’indique, 9 Modules .+ est une contribution en neuf vignettes (augmentées de .+) au label tokyoïte Progressive Form, qui permet au musicien japonais de donner libre cours à ses préoccupations esthétiques actuelles : un recadrage sur le rythme et les pulsations. L’album se distingue d’abord par une rigoureuse unité de ton (sonorités sèches, fréquences hautes, pulsations lourdes) et une signature particulière déclinée sur les neuf morceaux : l’utilisation de pistes mélodiques en motifs rythmiques répétés jusqu’à l’abstraction et la contamination de ces canevas par de discrètes inversions / coupures. En dépit de ces paramètres contraignants, Hanno parvient à construire une véritable narration puisque tout en les assimilant à son domaine, les neuf modules explorent des esthétiques distinctes. Si les constructions rythmiques des quatre premiers morceaux peuvent ainsi évoquer du Autechre électrisé par Alva Noto, l’album se réchauffe dans un second temps en adoucissant sa palette de sons et en feutrant ses beats : pause lounge sur ~ et 6 (aux saveurs de Snd), avant que Square et Oval n’emmènent 9 Modules .+ vers le dancefloor pour des humeurs plus excitantes (Kid606 et O.Lamm dans un duel au fleuret sur fond de claps de mains et de pied lobotomisant).

Travaillée par des tensions permanentes entre abstractions digitales, orchestrations généreuses et goût pour les bpm purs et durs, la schizophrénie discographique d’Hanno rappelle d’autres cas cliniques : Ryoji Ikeda (composition pour cordes feldmanesques après dix ans de cure de bruit blanc et de signaux purs), Nobuzaku Takemura (explorations électroniques post-sérielles, écriture pop et arrangements de cordes velouteuses pour Issey Miyake), Otomo Yoshihide, Masami Akita, etc. Or, si ces tensions sont d’ordinaires jugées suspectes, du moins contradictoires (dans la mesure où elles atomisent le plus souvent le sens d’une oeuvre), elles s’harmonisent finalement en un tout cohérent chez ces artistes, qui, parce qu’ils prennent justement le risque de la dispersion, révèlent plus fondamentalement leur rapport totalement désinhibé aux chapelles et une capacité d’absorption musicale gargantuesque.