Peut-être la découverte de ce début d’année : dans une formule duale piano / batterie pour le moins originale (on a plutôt l’habitude du couple guitare / batterie, encore que Russ Freeman et Shelly Manne se soient lancés dans l’aventure dès le milieu des années cinquante), le français Sylvain Ghio et l’israélien Yaron Herman inventent un univers d’une fraîcheur et d’une beauté tout à fait admirables, pétrissant et colorant avec fougue et enthousiasme une pâte sonore aux scintillements inédits. Il n’y a pas un an et demi que le jeune natif de Tel-Aviv a débarqué dans la capitale française, hantant aussitôt le squat de la Rivoli puis les clubs de la rue des Lombards, dont il investissait récemment le Duc pour une série de concerts remarqués. C’est à Paris qu’il rencontre le batteur toulonnais (connu pour ses prestations au côté du guitariste Pascal Pittorino) et monte avec lui ce duo : ils s’installent finalement en janvier dernier aux studios La Buissonne et y enregistrent les neuf pistes de cette galette étonnante, qui marque immédiatement par la singularité de son atmosphère, la richesse de ses influences et la débordante profusion de ses idées.

Mot d’ordre : liberté. Grand parrain : on jurerait parfois entendre une version alternative du Keith Jarrett des concerts solitaires, dont Herman semble avoir hérité le goût de l’harmonie et des arabesques virtuoses ; côté batterie, le jeu foisonnant et déconstruit de Ghio n’est pas sans évoquer Humair (au demeurant remercié dans les notes). Signes particuliers : l’irrésistible propension de Herman à utiliser le piano comme batterie bis (cordes pincées ou étouffées, touches frappées : d’autres aînés majeurs, comme Cecil Taylor, ne sont parfois pas très loin). Résultat : des climats étranges et fascinants, servis par des mélodies inventives et des moyens sonores souvent surprenants. Herman et Ghio ne reculent ni devant l’expérimentation, ni devant une certaine beauté naïve et directe qui doit peut-être moins au jazz qu’aux musiques tonales et nouvelles du dernier demi-siècle. Si l’ébullition que cache leurs crânes respectifs fait beaucoup attendre de leurs évolutions futures et donne à ce Takes 2 to know 1 sa sincérité en même temps que ses défauts, leur maîtrise de l’espace et du son force d’ores et déjà l’admiration. Entre le Köln Concert et les blocs sculpturaux et massifs du jeu taylorien, cette musique libre et pleine de vie est assurément l’une des plus attachantes et prometteuses qu’on ait entendu depuis quelques temps. A écouter d’urgence et à suivre à tout prix.