On retrouve l’ami Yann Tiersen, franc-tireur de la scène rock (ou faut-il dire « nouvelle chanson » ?) hexagonale dans un exercice un peu particulier, puisque capté live lors d’une Black session de Bernard Lenoir, dans l’un des studios à la très bonne acoustique de la Maison de la Radio, se doit-on d’ajouter. Et cette Black session elle-même est d’un genre un peu particulier ; en effet, au lieu d’apparaître seul ou en formation classique, cette soirée a fourni l’occasion à Yann Tiersen de faire venir tous ses amis musiciens, parmi lesquels Dominique A et Françoiz Breut bien sûr, mais aussi Neil Hannon (The Divine Comedy), The Married Monk, Bertrand Cantat (Noir Désir), Les Têtes Raides et Mathieu Boogaerts.
Annoncée depuis plusieurs mois, cette Black session enregistrée en décembre 1998 sort enfin, libérant son flot de chansons douces-amères. Car Tiersen n’est pas le grand spécialiste de la chanson qui rigole. Même lorsque le thème abordé le permettrait, lorsque les paroles laissent entrevoir une lueur d’espoir, il y a toujours quelque chose, dans la musique, dans l’atmosphère, pour l’empêcher. Sans doute est-ce dû à l’omniprésence du violon, l’instrument premier de Tiersen, qui se prête plus aux comptines mélancoliques qu’aux éclats de joie.

Ce qui ne nous empêchera pas d’être heureux à l’écoute de ces 15 titres, dont une reprise peu orthodoxe mais finalement gagnante de Life on Mars, avec la voix haut perchée de Neil Hannon qui traduit bien l’androgynie du Bowie de l’époque. Kitsch en tout cas. Dominique A, égal à lui-même, c’est-à-dire quand même bien bon, joue la retenue juste ce qu’il faut sur Monochrome puis Les Bras de mer. Plus étonnant, Bertrand Cantat, gardant son phrasé caractéristique -la saccade un rien martiale- passe très bien, et pour cause, A ton étoile est un morceau de Noir Désir. C’est donc Yann Tiersen et The Married Monk qui se réapproprient avec talent le titre. On n’oubliera pas non plus de citer les Têtes Raides, qui offrent à Tiersen leur Ginette après lui avoir pris La Noyée. Un des meilleurs moments de cet album.
Tiersen est vraiment un type pas comme les autres, et même si il ne faut pas souffrir de neurasthénie aiguë pour goûter sa musique, sous peine d’avaler ses cachets de Gardenal en vitesse, on doit lui reconnaître cette volonté d’explorer de nouvelles voies dans la musique, c’est déjà pas si mal. Un univers à part, à découvrir si ce n’est déjà fait.