On en a si souvent entendu parler comme d’une jeune vedette parée des attributs du génie avant même d’avoir eu le temps de faire ses preuves qu’on avait presque oublié à quel point Joshua Redman n’a jamais volé sa réputation : si certains des jalons de son abondante discographie n’ont pas laissé le plus enthousiaste des souvenirs, ce trio avec l’organiste Sam Yahel et le batteur Brian Blade est à mettre au niveau de ses plus mémorables. Ya Ya3 n’est d’ailleurs pas un nouvel album du saxophoniste mais bien le premier d’un trio au vrai sens du terme (tous ont apporté leurs partitions, tous sont désignés comme producteurs) dont on espère qu’il sera plus que l’association éphémère à quoi se réduisent trop souvent les all-stars bands. La parfaite complicité de Redman et du remarquable Brian Blade, forgée et entretenue au fil d’une multiplicité d’enregistrements, ne mérite sans doute aucun commentaire ; excellent technicien et parfait accompagnateur, le batteur voit ses qualités particulièrement bien mises en valeur dans le contexte swingant en diable de ces neuf plages oscillant sans cesse entre attraits du binaire et souplesse du ternaire.

D’une impeccable sobriété, Sam Yahel joue pour sa part de son orgue avec un impressionnisme étonnant, installant des climats presque discrets plutôt que redoublant d’effets de manche, préférant l’espace à la densité, qu’il soutienne les improvisations de ses partenaires ou prenne lui-même un solo. On pense volontiers à Larry Young, d’autant que le trio évolue en permanence sur une corde raide tendue entre jazz et groove, harmonies complexes et riffs sans bavures. On aurait par instants aimé qu’il s’aventure plus explicitement sur les terrains binaires qu’il laisse ici et là entrevoir, mais on ne se lasse pas de découvrir les richesses de ce premier album subtil, voluptueux et aussi abstraitement élégant que sa pochette, une toile signée Josef Albers -un trio de carrés imbriqués aux tons proches, parfaitement symboliques.