Melancholia : voilà un mot qui agit instantanément sur l’imaginaire et qui dépose inexorablement un voile crépusculaire dans l’air, un mot qui traverse l’histoire des arts comme il traverse le miroir des âmes. En français, il se transforme à peine pour devenir « mélancolie » et ne perd rien de son pouvoir évocateur. Dans toutes les langues, il désigne ce paysage intérieur au bord de l’abîme, quelque part entre cafard et dépression, dans lequel il arrive (plus ou moins souvent selon son tempérament) que l’on glisse au cours du chemin qui mène de la naissance à la mort.

Melancholia : tel est le titre de l’album de William Basinski que l’on aborde ici, à la faveur de sa récente réédition en vinyle par le label new-yorkais Temporary Residence – lequel avait déjà fastueusement réédité The Disintegration Loops I-IV, l’opus magnus de Basinski. Paru à l’origine en 2003, sous la forme d’un simple CD-r, cet album ne s’inspire en rien du film éponyme de Lars von Trier (sorti en 2011) mais il s’abreuve bel et bien à la plus dense mélancolie, dont le noir venin se répand, insidieusement et voluptueusement, du début à la fin.

Evoluant entre ambient, néoclassique, electronica et field recording, Basinski développe depuis plus de quinze ans une musique d’une extrême exigence, aux confins du silence, et bâtit un édifice discographique (pour l’essentiel via son propre label, 2062) dont Melancholia apparaît comme l’une des pierres angulaires. Nombreux sont les albums qui, suite à l’avènement du laptop durant les années 1990, ont scellé l’union entre organique et électronique mais rares sont ceux qui ont atteint un tel degré d’intensité. On s’y retrouve enveloppé de la même grâce que chez Leyland Kirby, autre spéléologue de la mélancolie par l’entremise d’un piano spectral.

A l’instar de The Disintegration Loops, Melancholia se base sur le recyclage – fertile, ô combien – de courtes boucles enregistrées sur cassettes dans les années 1980 et réutilisées non pas malgré mais (aussi) à cause de l’imperfection de leur qualité sonore, consécutive au passage du temps. C’est précisément cette sensation du passage du temps, si propice à la propagation de la mélancolie, qui imprègne l’album en profondeur. Flottant dans un espace-temps nébuleux et mêlant légères touches de piano, discrètes envolées de cordes et bourdonnements ou grésillements électroniques, les quatorze morceaux/mouvements (simplement titrés Melancholia I, Melancholia II, etc.) forment un ensemble tendu vers l’épure, qui évoque autant Eno que Debussy ou (plus encore) Satie (notamment sur le magnifique Melancholia IX) et dont la lumineuse simplicité n’a pas fini de nous éblouir.

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