A l’occasion de son sixième album sur Knitting Factory (célèbre club et label de downtown New York, qui a récemment sorti les disques de Joe Morris, Roswell Rudd ou Gary Lucas), William Hooker a invité Lee Ranaldo (guitariste de Sonic Youth) et Christian Marclay, grand joueur de platines. Ce Bouquet est le résultat d’un enregistrement live sur scène à la Knitting datant du 23 avril 1999 (le lendemain du mariage de Ranaldo, pour la petite histoire).

Le disque a été divisé en huit parties, dans lesquelles le trio crée une longue pièce musicale intrigante, variée, mystérieuse souvent, en tout cas beaucoup moins bruyante qu’on pouvait s’y attendre vu le passé des musiciens. On savait que Hooker et Ranaldo avaient déjà entre eux une affinité naturelle, une capacité instinctive à se comprendre (qualité essentielle lors du jeu improvisé), on découvre sur Bouquet que la batterie et les percussions de Hooker se mêlent admirablement aux interventions de Marclay. Celles-ci, souvent des extraits de disques de piano ou de musique contemporaine, « structurent » le disque de bout en bout et accessoirement reposent l’auditeur du chaos de poche créé par les deux autres. Marclay est presque le plus « musicien » des trois sur ce disque où Lee Ranaldo joue (en la raclant et la triturant) de la guitare, de petits objets et de cloches tandis que Hooker joue avec des « pièges » (comme indiqué sur le disque). A la fin de la session, Hooker a d’ailleurs déclaré que Marclay avait été l’ »innovateur » du trio. Bref, lui et Ranaldo jouent les sales gosses du son sale en liberté pendant que Marclay met un peu d’ordre dans tout ça.

Tout au long de ces 53 minutes d’improvisation, l’auditeur est envoyé dans un monde onirique et flottant, dans lequel les musiciens arrivent à se maintenir sans perte d’inspiration. L’apparente absence de relief est toujours compensée au dernier moment par une intervention de l’un ou de l’autre (chants d’opéra ou be-bop endiablé subitement balancés en boucle par Marclay, déluge de batterie par Hooker, couinements de feedback par Ranaldo) qui sauve l’ensemble. Vers la fin, le trio se permet même une accalmie bercée par la guitare très Sonic Youth de Ranaldo (on s’attend presque à entendre Kim Gordon chanter, on n’est en fait pas très loin du Dead man de Neil Young). Mais la dernière partie est la plus angoissante et le disque se termine sur des ambiances tendues qui révèlent toute la capacité dramatique du trio. Entière, cohérente, énigmatique parfois, la collaboration de ces trois musiciens fut ce soir-là particulièrement réussie : un florilège des talents de chacun. Pour amateurs d’impro ou oreilles curieuses, un live qui devrait résister au temps.