A l’attention des quelques rêveurs qui persistent à penser que le hip-hop a surgi un jour ex nihilo du néant de la rue, le label Hostile plaide l’éducation et la culture, avec la sortie du second volet du projet Shaolin soul compilé d’une main de maître par Olivier Carrié, expert ès musiques noires, regroupant quelques-uns des titres les plus samplés par les producteurs de hip-hop depuis le début des années 90, période fertile en mélanges heureux.

A contre-courant d’une frénésie compilatrice dont sont atteintes nombre de majors qui se repaissent de collages plus ou moins judicieux, faisant déborder nos bacs de futilités sans teint, Olivier Carrié est allé fouiller les greniers de la musique noire des années 70. Entre la crasse du vieux Sud américain version Stax (Southern Soul) et les palais dorés de la Motown ou de la Hi. Evitant magistralement les classiques des Aretha et autres Otis (non qu’ils soient mauvais, mais un peu trop présents sur ce type de projet), Shaolin soul, deuxième du nom, a le mérite de faire ressortir quelques perles afin de prouver pourquoi et comment notre hip-hop chéri des années 90 prend sa source dans l’âme du peuple noir.

Pour ceux qui n’auraient pas encore saisi le lien, en dépit d’un sous-titre plutôt explicite emprunté à un titre des Gladys Night (Everybody’s talking about the good old days), une première écoute remettra les choses en place. Car, alors que les premières productions de Grand Master Flash flanqué de ses « 5 furieux » piochaient sans trop de complexes dans la pléthore de riffs de leurs contemporains Clinton ou James Brown (notamment sous l’impulsion du producteur Marley Marl), la fin des années 80, en revanche, a vu surgir avec Mobb Deep ou encore RZA des orchestrations classiques à grand renfort de violons et de flûtes. L’occasion de redécouvrir les très riches heures des défuntes maisons Stax et Hi.

En 20 morceaux, Shaolin soul revisite ces titres oubliés qui, à défaut d’être crédités sur les pochettes (procédé auquel se refusent nombre de producteurs…), n’en ont pas moins été abondamment samplés sans qu’on soit clairement parvenu à coller des noms sur ces sons que pourtant nous connaissons. Et là, au détour de ce I hear the loves chimes poussé par la voix de Syl Johnson, bluesman militant des années 50 (et samplé par le duo ODB/RZA), ressurgit la notion d’une continuité culturelle entre la soul et le hip-hop, planant au-dessus de nos têtes comme un résumé du mythe de l’Atlantique noir. Suivent le Hard times de Baby Huey signé sur le très prolixe label de Curtis Mayfield et remis au goût du jour par Ghostface Killah sur Buck 50, la ligne de basse hypnotique samplée par RZA sur le Honey Bee de New Birth pour la conception de son Clan in da front. Ou encore I hate I walked away, bijou d’une soul estampillée Hi Recordings, sur lequel Imhotep a pioché les soyeuses notes d’Elle donne son corps avant son nom sur le dernier opus des rappeurs marseillais. Ouvrez vos oreilles également au son révolutionnaire de Stax Records, maison mère de la soul sudiste du Tennessee, d’où surgit Gone, un titre des Mad Lads enregistré en 1973 et sur lequel LL Cool J a pioché l’intro de son récent G.O.A.T A noter enfin le I’ve been watching you de Southside remis au goût du jour par les français de La (défunte) Cliqua.

Au final, ils y sont tous. Al Green, Jackson 5, Ann Peebles, Baby Huey, et même le méconnu Labi Siffre, dont le riddim de I got the Blues a pourtant été rejoué par Dr Dre sur le Hi, my name is… de son poulain Eminem (et même purement samplé par Big Punisher sur I’m not a player). Il y a dans l’esprit de Shaolin soul une volonté d’éduquer l’auditeur, de lui faire redécouvrir une culture passée aux oubliettes à l’heure où le hip-hop est devenu un art facile noyé sous des productions d’outre-Atlantique qui se plaisent à sampler impunément un riff de Sting éculé. Shaolin soul II est là pour témoigner de la richesse d’une continuité culturelle, et jeter à la face des rappeurs assis sur leur style, leurs véritables racines musicales, fièrement honorées par l’oreille attentive de quelques producteurs qui, à l’instar de RZA, ont fait du hip-hop un hommage triomphant aux larmes du peuple noir.