Pour l’amateur obsessionnel de musique, les magasins Rough Trade (à Paris un temps, à Londres toujours) ont toujours été un lieu unique, une caverne d’Ali Baba, une antre de débauche, un lieu de découvertes, de quête, de curiosités. Un lieu de rencontres et d’échanges (pour citer Jérôme Minière). Hélas également un endroit où l’on se livre à des actes de perditions financières absolus. Mais Rough Trade, ce fut aussi et surtout un label absolument unique dans son éclectisme, sa pertinence et son excellence ainsi qu’un réseau de distribution sans lequel la plupart des autres labels indépendants anglais, tombés dans l’oubli ou ayant accédé eux aussi au panthéon, n’aurait jamais eu l’opportunité et/ou les moyens de se développer, pour le meilleur comme pour le pire. Citons simplement Creation, Factory, 4AD, Mute… pas besoin de vous faire un dessin.

L’objet compilatoire qui marque le quart de siècle de cette fluctuante institution est quasiment irréprochable mais allez savoir pourquoi, un livre nous aurait sûrement fait davantage plaisir… Trêve de plaisanterie : ces quatre disques représentent une forme de compilation parfaite pour plusieurs raisons. Tout d’abord, en observant le tracklisting, il faut se pincer pour croire que tant de singles géniaux ont vu le jour via Rough Trade, qu’autant de pépites aient transité par ce canal de base avant d’atteindre les discothèques du monde libre. Sans aucun doute, Geoff Travis et ses sbires ont eu un flair incroyable. Au final, on se retrouve quasiment avec une photo ultime, un artefact définitif. Et pour un prix quasiment dérisoire en prime !

Que l’on écoute les disques dans leur intégralité ou simplement en piochant çà et là à la recherche d’une madeleine enfouie (Television Personalities, Part-time punks CD1-Plage 9), d’une maîtresse oubliée (The Chills, Pink frost CD 3 – Plage 10), d’un pur moment de grâce (Robert Wyatt, Shipbuilding CD 2 – Plage 3) ou de purs moment de rock’n’roll (Mudhoney, Touch me I’m sick CD 3 – Plage 2, mais aussi le terrifiant Death valley 69 de Sonic Youth avec Lydia Lunch CD 2 – Plage 10), on est totalement scié par ce que l’on trouve ici. De quoi se choper parfois même d’hallucinantes crises de schizophrénie légère, lorsque par exemple, à l’hystérie contagieuse du Her jazz d’Huggy Bear succède la ouate sensuelle du Fade into you de Mazzy Star… Tout y est, du Birthday des Sugarcubes (et de l’effet que vous a fait ce morceau à la première écoute, vous vous en souvenez ?) à diverses apparitions technoïdes du meilleur goût (Plastikman, Throbbing Gristle, Gescom, Boards Of Canada, Cabaret Voltaire) en passant évidemment par les Smiths. Quasiment un acte pédagogique ultime que d’offrir cet objet, couplé au Dictionnaire du rock de Michka Assayas, à un moins de 23 ans.

Evidemment, cette compilation pose de nombreuses interrogations, de nombreux doutes même : pourquoi, par exemple, ne pas avoir choisi en ouverture Final solution plutôt que ce 30 seconds over Tokyo de Pere Ubu ? Une douzaine d’autres questions vous rendront probablement un temps le sommeil plus difficile, car ces disques peuvent rendre dangereusement maniaques. Des suggestions ?