Trop de disques sortent, et pourtant jamais assez. Charmant paradoxe, mais passionnant problème : alors que l’actualité s’intensifie chaque année un peu plus et qu’il devient de plus en plus facile et de moins en moins onéreux de sortir des disques, faire publier sa musique demeure un exténuant jeu de pistes et de pistons. Si le système de l’envoi de démos est un procédé vieux comme le monde, il a plus que jamais ses raisons d’exister à l’heure du CD-R, et la pratique se justifie tout particulièrement dans le domaine des musiques électroniques, dont le lieu privilégié d’incubation est le home studio. Suivre les mouvements souterrains sous-jacents au monde déjà confidentiel des labels indépendants peut donc facilement se révéler une activité fructificatrice et substantifique, surtout à l’heure où des labels soi-disant aventureux pratiquent le copinage à outrance et l’échange de bons procédés entre amis de bon goût, et où la plupart des artistes sortant des disques en ont déjà sorti d’autres ailleurs…

Louable initiative donc de la part des Londoniens de Fat Cat, apparemment décidés à réinvestir l’argent généré par Sigur Ros dans les musiques aventureuses (Janek Schaeffer, la série des Virus Split qui accouche bientôt d’un split Pita / Lucky Kitchen…) et inexplorées, au sens propre du terme : No watches, no maps est une compilation de démos reçues par la poste, et dont le label, au planning de sorties engorgé, ne peut pour l’instant pas s’occuper (bien que Duplo Remote et Com.a, présents sur le disque, aient déjà partagé un 12″ de manière « officielle » sur le label). Si le résultat d’ensemble peut paraître un peu inégal, force est de constater que le niveau général n’a absolument pas à rougir face à la plupart des compilations d’artistes confirmés (une bonne comparaison est le récent Putting back the Morr in Morrissey sur Morr Music) et que le disque contient son lot syndical de perles. On retrouve la plupart des genres défendus par le label, de l’ambient rock (Ukyio-E, façon Aerial / Papa M, ou les volutes acoustiques de Bexar Bexar, repérés ailleurs sur Elevator Bath) à l’IDM plus classique (le morceau de Com.a est un plagiat sans complexe d’Autechre époque Anvil Vapre, l’electronica linéaire crépitante de Mokira ne dépareillerait pas sur une compilation Scape) ou l’electronica la plus abstraite ou bruitiste (les errances post-digitales de QT?, les délires rephlexisants de Joseph Nothing ou digitalhardcorisant de Moneyshot), mais également des incartades acoustiques du plus bel effet (Beans, The Balky Mule aka Sam Jones de Movietone / Crescent).

Au final, loin de toute considération référentielle, ce disque contient de l’excellente musique et constitue bien plus qu’un acte de charité de la part de Fat Cat, avant tout décidé à servir de tremplin et à donner la parole à des artistes souvent passionnants. Le tampon Fat Cat mis à part, on ne regarde pas un instant ce disque avec pitié, comme un mauvais disque autoproduit dont on ne saurait trop quoi faire. Plus encore qu’un acte politique, Fat Cat vient de commettre un acte artistique de haute volée.