C’est enfin arrivé. New York étant redevenu, à tort et à raison, ce melting-pot musical à ciel ouvert (Ground Zero again ?), on célèbre à tour de presse à disque les années 1978-82, cette période si intense en expériences et métissages. Post-Punk, No-Wave, peu importe l’appellation, pourvu qu’on accède au dérèglement des sens ! Les compilations se succèdent, opportunistes ou nostalgisantes, et permettent à la génération Strokes-Rapture de découvrir de quelle manière on cassait alors du rock’n’roll, on giflait du jazz et on roulait des pelles au disco.

Plus qu’aucun autre, Ze Records demeure le label phare de cette époque, étrange fruit d’une alliance translatlantique entre Michael Zilkha, riche entrepreneur es-énergies et Michel Esteban, fondateur de la mythique boutique Harry Cover, rue des Halles. Ze fut le fer de lance de la No-wave, dans la foulée de No New York, cette compilation fondatrice produite par Brian Eno. New York no wave exhume quelques classiques (Teenage Jesus & The Jerks, Contortions, James White & The Blacks) et surtout des perles épuisées depuis leur sortie. On redécouvre ainsi le premier maxi de Mars, qui n’a rien perdu de son intransigeante sauvagerie ; Pini pini, rencontre entre Arto Lindsay et Seth Tillett, une narration spasmodique et hilarante ; et surtout quatre extraits du premier disque de Lizzy Mercier-Descloux, Rosa Yemen, qui justifient l’acquisition de cette compilation (en attendant la réédition prochaine des albums de cette merveilleuse no-diva).

Mutant disco, à l’origine un mini-LP de 6 titres publié en 1981, explore et développe plus avant la seconde facette de Ze, plus festive et sensuelle. Sous haute influence noire, quelques sorciers du son (August Darnell, Roy Rogers, Don & David Was, Bob Blank) ont mis bas d’extraordinaires hybrides. On goûte sans modération Spooks in space et Emile (night rate), les moites ritournelles d’Aural Exciters, le frénétique et dramatique Wheel me out, de Was (not Was), et le désormais incontournable Contort yourself de James White & The Blacks. On constate que les vieux hits de Kid Creole & The Coconuts tiennent toujours la route des Caraïbes ; et on lustre, avec ou sans honte, sa Mirror ball pour la suspendre au plafond avant de se trémousser sur Disco clone de Cristina ou Encore l’amore des Garçons.

Soul Jazz Records, qui n’est plus à une compilation près, accompagne le mouvement. New York noise accouple avec justesse le bruit et la fureur avec la luxuriance et la luxure qui caractérise Ze records, ainsi que d’autres labels new-yorkais : Lust / Unlust, Sleeping Bag, 99 Records. On y retrouve Glenn Branca, Mars, DNA, Lizzy Mercier-Descloux et James White, ainsi que les glorieux Liquid Liquid -ceux qui étaient à leur récent concert au Nouveau Casino s’en frottent encore les yeux et les oreilles-, et quelques raretés dignes d’intérêt, tel que Button up de The Bloods, groupe lesbien dans le sillage des Bush Tetras ou Clean on your bean de Dinosaur L, alias Arthur Russell, violoncelliste venu de la musique contemporaine vers le dancefloor. Cette compilation est une excellente introduction qui vous permettra de remonter les innombrables filières de ce New York ressuscité, en attendant de nouvelles surprises (une compilation de Konk ? Un hommage à 99 Records ? L’intégrale des maxis disco d’Arthur Russell ?). Enjoy and move your ass !