Pour cette seconde mouture de la compilation phare d’Eastern Conference, Mr Eon et DJ Mighty Mi (alias The High & Mighty) ont réuni toutes les forces -aussi vives que sombres- du label, pour balancer à la face du monde un panorama quasi exhaustif de sa puissance de feu, en une vingtaine de titres déviant ouvertement du conformisme ambiant.

Sombre. Dj Mighty Mi, à qui l’on doit la majorité des productions, exploite ici une veine sombre et crasseuse qui respire la violence, la pression sonore, le rythme haletant d’une machine qu’on entraîne dans un fracas tout urbain. Ca flaire les vapeurs d’éther, le pneu cramé, le brown sugar et la sueur. Dans cette arène des samples en forme de chaos jubilatoire, les idées se chevauchent et copulent en un déluge sonore tantôt funky, tantôt soul, souvent crade et toujours gluant, soutenu par une série de beats sévères qui s’autorisent ça et là quelques passe-passe des plus jouissifs. Ca sent la production fignolée, les breaks bien placés, les violons soigneusement découpés, collés, calés, dans un bourdonnement symphonique animé d’une variété de samples à faire pâlir les producteurs de beat au mètre : pizzicati de violon, accordéon, voix de soul, invectives James Brownienne cuivrées, guitares funky, pianos ou harpes. Et par-dessus cette impeccable orchestration se posent les fortes têtes de la machine Eastern : Smut Peddlers, réunion au sommet du High & Mighty flanqué de Cage-le-déjanté, Skillz et son flow nasillard, Evidence (Dilated People), Royce 5.9, le Jurassic Chali 2 Na, Copywrite, R.A. the Rugged Man, Kool Keith et ce bon vieux Daddy Kane.

Sale. Ce joyeux foutoir, débute par une intro menée par le flow de Copywrite, ciselée de scratch aigus, serrés et explicites, qui lâchent en vrac valeurs et grands noms du label. Partant de là, ça cogne du début à la fin. A la suite des Smut Peddlers qui ouvrent les hostilités à grands renforts d’invectives sexuellement explicites, virevoltant par-dessus les slides d’une basse ronflante, Royce 5.9 se poste à l’entrée, épaulé par un ego sur-développé : « Mon hip-hop est trop large pour passer les portes du box-office/Trop puissant pour rentrer sur les couvertures des magazines ». Suivent Copywrite, Pacewon et R.A. the Rugged Man. Jusqu’à ce qu’arrive Cage. Seul. Sale. Appuyé sur les sombres violons de Mighty Mi, il se pose en « Antechrist » dès les premières notes de Crowd Killa, crevant cet abcès purulent plein d’une haine viscérale pour le laisser couler sur le monde en autant de mots acides, justifiant ses idées déroutantes par la personnalité -un rien surfaite- de son ego : « I’m obvious oblivious of all, but that’s my science ».

Puissant. Judicieusement montée en épingle, en dépit de quelques remplissages dont on aurait pu se passer (Homecoming Queen…), la succession des titres emporte ce Eastern Conference All Stars II vers une tension plus prégnante à chaque seconde, déballant un son qui ferait passer le plus hardcore des producteurs actuels pour un gentil branleur. Et par deux fois, la bulle explose, sur des rythmiques apocalyptiques qui crachent un feu de cordes majestueuses et de pianos déchirés entre aigu et grave (10e et 20e morceaux, sans titres). Ravageant les corps et les esprits dans un fracas assourdissant de gutturales et d’allitérations mêlées d’une violence qui n’hésite pas à dire son nom, les hurleurs du label laissent alors libre cours à une bestialité malsaine et perverse, évoquant entre autres, à l’aune d’un vocabulaire anatomique et chirurgical, la puissance de la sodomie que subira le bougre qui osera se frotter à la clique…

Jouissif. Le hip-hop d’Eastern Conference vit. Sous ces beats assommants, sous cette pression constante qui harcèle en bloc esprits et oreilles, bat le cœur d’un hip-hop versatile et changeant, alliant la sueur et le foutre, la cocaïne et le bicarbonate de soude, la crasse des rues et la brutalité d’un porno hardcore. Ca tabasse les conventions, ça se branle sur les tabous et éventre les non-dits. Enfin.