On se souviendra longtemps et avec nostalgie des soirées que donnait le label Tricatel les premiers mardi du mois, dans un bowling de l’avenue Foch. Sur une musique pointue, dans un décor inédit, on y croisait la faune du Pop in et du Syndicat (les deux bar pop de Paris), une série de mods désœuvrés, des mannequins en goguette, des journalistes saouls, autant que les VIP de la société du spectacle : Philippe Katerine et Héléna Noguerra, Ariel Wizman et Nicolas Errera, Jean Jacques Schuhl et Ingrid Caven, ou même Nagui et Axelle Red venus se refaire une santé underground. Au milieu de tout ça trônait Bertrand Burgalat, homme de bon goût et metteur en scène chaleureux de cette enclave dansante et fashion. Aujourd’hui, il nous en reste de jolis souvenirs de dragues lamentables, de danses trépidantes, de concerts rigolos (DJ Me DJ You, Ladytron) et de rencontres importantes. Et puis, cette compilation Club Tricatel, pour raviver notre mémoire et restaurer dans notre salon l’éclectisme groove de ces soirées pas si snob.

Sur 17 fondamentaux, ce disque dresse le panorama savant de musiques diverses et variées qui traversaient le bowling et nos corps fiévreux, de la J-pop acid au funk sophistiqué en passant par le rock burné ou l’electro retro. Le tout placé sous le signe hédoniste et easy-listening de la musique de club. Corduroy, groupe oublié de la vaguelette acid-jazz, tendance mod, nous sert sur un plateau son Love is psychedelic, shafterie progressive chantée-parlée, funk cool gonflé de cordes, de breaks et de petits synthés. Une merveille mid-tempo. Les Fantastic Plastic Machine, du japonais Tomoyuki Tanaka, sont présents sur deux titres, Moshi Moshi et You must learn all night long. Le premier est un morceau culte des soirées Blowup, une hystérie big-beat, psychédélique et téléphonique, bardée de chœurs de collégiennes et de moogs intempestifs. Le deuxième est du même tonneau, trépidant et anarchique, un mille feuille de grooves et de breaks, pas très éloigné de la musique de Vib Ribbon sur PlayStation. Le Japon, terre d’accueil privilégiée de Tricatel, est ainsi à l’honneur, avec Fantastic Plastic Machine, mais aussi Oshinori Sunahara et sa musique de jet-setter numérique (son album concept en forme d’aéroport Take off and landing, est un des disques de chevet de Françoise Cactus, des Stereo Total), ou Pine’am, petit groupe japonais sous influence electro-rock.

On appréciera par ailleurs la présence musclée du My sharona de The Knack, hit punk-rock 1979 vendu à plus de 10 millions d’exemplaires, le seul de ce groupe vite tombé dans les oubliettes de l’histoire du rock (quoique la présence de ce titre sur la B.O. du fil Reality bites en 1994 ait permis à la génération 90’s de redécouvrir ce sommet oublié du punk rock). Un morceau très actuel, finalement, si l’on tient compte du soi disant « retour du rock » dans la branchitude parisienne (les tiags et la coupe mulet). La compile est ainsi un savant mélange d’ancien et de nouveau. Le nouveau sonnant souvent comme de l’ancien et l’ancien résonnant comme du nouveau. Mais elle est surtout un savoureux mélange des genres. En témoigne ce Puppet man des 5th Dimension (les « inoubliables » compositeurs de Aquarius / Let the sunshine In, dans la B.O. de Hair) qui ressemble à du Free Design funk, du rock californien noir (une version chantée par Tom Jones sera un des grands succès de 1971), qui côtoie sans problème Artefact, le groupe electro français 70’s de Maurice Dantec, le Can de 1979 (le moins connu), les suédois groovy de Soulking, les zulus de Rock Steady Crew, les allemands Dauerfish, les hollandais Arling & Cameron, ou les p’tiots de Kriss Kross et leur tube r’n’b Jump.

Ainsi, Emperor Norton ou Bungalow sont à pied d’égalité avec Sony Music Entertainment, le mainstream se mêle à l’underground, les genres et les gens se rencontrant comme dans un temps et une géographie indifférenciés, placés sous le seul signe du plaisir. Au final, Club Tricatel est une compilation pointue pour les curieux, à l’image d’un label exigeant et mélomane.