S’il y a bien un style d’album complètement vain et inutile, c’est bien le « tribute », ou « hommage », puisqu’il faut prononcer ce mot bien qu’il soit ici souvent déplacé. Quel intérêt, en effet, d’écouter une longue série de reprises généralement bien inférieures aux originales, exécutées -c’est le mot !- par des groupes de seconde zone avides de reconnaissance ? Des nouvelles versions qui font souvent bondir leur auteur dans sa propre tombe. Car généralement, l’auteur ainsi honoré a déjà, par chance, passé l’arme à gauche. Or Polnareff n’est pas mort ; la preuve, je l’ai vu chez Jean-Pierre Foucault, il était tout fluo mais c’était bien lui. C’est sans doute la raison pour laquelle ce tribute tient bien la route malgré une hétérogénéité surprenante.
En effet, on en voit de toutes les couleurs sur ce double-album cyclopéen. Multinational, certes -du Japon à l’Australie-, malgré une prédominance logique des artistes français, mais aussi multigenres, puisqu’on passe sans transition des Residents à Lilicub et à Pow Wow -aïe ! Mais après tout pourquoi se le cacher, Polnareff, c’est de la variété -attention, pas de la variétoche-, bien au-dessus du lot mais rien à voir avec Scott Walker ou Brian Wilson, comme on a pu le lire ici où là.

Alors, que retenir de cette logorrhée nostalgique ? Que certains auraient pu s’abstenir de chanter en français. Si Jarvis Cocker s’en sort relativement bien, avec une version survitaminée et power-pop de La Mouche, Nick Cave provoque une hilarité un peu gênée en baragouinant Marylou dans un français approximatif mais rigolo. Que d’autres sont sans doute passé là par hasard, parce qu’il y avait de la lumière et qu’ils en ont profité pour pondre d’horribles salmigondis prise-de-tête en guise de relecture. Steven Brown, par exemple, en transformant l’émouvant Sous quelle étoile suis-je né ? en bouillie atone, mi-jazzy, mi-noisy à la Sonic Youth des jours de biture. Ou, bien pire, The Residents avec leur Love me, please love me qui n’emprunte à l’original que la phrase titre pour y substituer un vague machin avant-garde littéralement inécoutable, à tel point qu’à côté, Pierre Boullez, c’est les Musclés. Hors sujet.

Que la tonalité générale de l’album est curieusement eighties. Guesch « tiens-le bien Étienne » Patti, mais aussi Jacno avec une version electro-rock réjouissante de La Poupée qui fait non, et surtout Elli Medeiros, reléguée sur un infamant « bonus track » malgré son Holidays sensuel passé à la moulinette reggae.

Que si quelques intervenants sont restés bêtement scolaires jusqu’à l’imitation à la Laurent Gerra -on citera pour exemple Eiffel reprenant Rosy, où l’on croirait entendre ce bon vieux Polna lui-même-, d’autres ont su redonner une nouvelle jeunesse aux chansons de l’homme aux lunettes noires. Ainsi, Burgalat et sa délicate version instrumentale pop-baroque de Holidays, fidèle dans l’esprit, quoique d’inspiration nettement plus Bacharachienne, les Japonais Pizzicato Five métamorphosant Tout tout pour ma chérie en ziquette de jeux vidéos, ou leurs compatriotes de Neppu Tokyo Salon, transformant Tam Tam en mambo endiablé. Enfin, Pigalle peut se targuer de livrer la relecture la plus intéressante du Bal des Lazes, façon chanson réaliste -alors que Louis Philippe se contente de se la jouer moyenâgeuse à l’instar de l’original et que Comelade nous la fait style comptine musicale concassée.

Bref, comme d’habitude, ce tribute n’a qu’une portée artistique limitée ; les différents groupes qui se sont prêtés au jeu s’étant sans doute plus amusés à le faire que l’auditeur à l’écouter. Que le fan achètera sans doute cet obscur objet, à la pochette impeccable, qu’il écoutera les deux CD pendant un certain temps, pour varier le plaisir, puis qu’il délaissera le pastiche pour revenir à l’original.