Le tropicalisme brésilien, le high-life nigérian ou la pop thaïlandaise sont des exemples d’hybridations musicales entre la musique populaire anglo-saxonne et des musiques traditionnelles extra-occidentales. Cinq ans après une première compilation dédiée au Raï algérien, le label américain défricheur et digger Sublime Frequencies nous fait ici découvrir la belle rencontre entre la musique traditionnelle algérienne et la pop-folk psychédélique occidentale dans les années 1970, peu de temps après l’indépendance de l’Algérie. A partir de 45 tours d’époque, on découvre ainsi le rock de Rachid & Fethi (qui remplacent le sitar par une basse et une guitare jouées à l’unisson, dans un esprit très prog-rock), les Djinns (qui utilisent encore des rythmiques traditionnelles) ou Abranis (entre soul de New Orleans et les Doors). Complétée par la folk mélancolique de Kri Kri ou Djamel Allem, la célèbre berceuse populaire Vava Inouva de Idir et les ambiances cinématiques d’Ahmed Malek (qui sonnent comme du bon Morricone et nous rappellent que le nord du Sahara a été l’un des endroits préférés pour filmer les westerns spaghetti), cette compilation documente ainsi l’évolution musicale d’une nation en mutation, entre modernité et tradition, entrain et mélancolie. Petite interview du compilateur, Hicham Chadly.

C’est la deuxième compilation que tu réalises pour Sublime Frequencies. Comment as-tu été amené à collaborer avec eux ?

Hicham Chadly : Alan Bishop [co-fondateur du label, et musicien avec les Sun City Girls notamment, NDR] est toujours ouvert à toutes les propositions concernant l’Algérie. D’ailleurs, les compilations Proto-Raï et Folk & Pop devaient être un seul disque avec deux faces couvrant les deux genres/périodes… Mais nous avions assez de matériel pour faire des volumes spécifiquement dédiés au raï et au rock.

Hormis quelques stars du raï (Cheikha Remitti, Cheb Mami, Cheb Khaled, Rachid Taha…), la musique algérienne est relativement méconnue en Europe. Peux-tu retracer les grandes lignes de cette « modernisation » dans les années 1970 ?

Rachid Taha n’est pas un chanteur de Raï. Loin de là… mais ce n’est pas le sujet. La (les) musiques algériennes ont commencé une lente modernisation dès le début du 20ème siècle, qui s’est accélérée au fil des décennies par le biais des musiques venant d’occident via les radios, l’industrie du disque, les colons, Hollywood (et Bollywood plus tard dans les années 1970). Les années 1970 ont vu une vraie explosion si je puis dire grâce à une toute petite industrie du disque en Algérie qui a permis à beaucoup de jeunes artistes de se produire. Les années 70 ont été pour l’Algérie l’aboutissement d’années d’influences externes. Toutes ces influences allant de la pop yéyé au jazz en passant par les Beatles et Elvis jusqu’à la pop Egyptienne et les comédies musicales de Bollywood ont été synthétisées pour donner un raï plus moderne dans l’ouest algérien et de la pop dans les grandes villes (chez les plus jeunes).Voici un bon exemple de la période de transition :

Tu as grandi en Algérie, avant de t’installer au Caire. As-tu été exposé à ces musiques dans ton enfance et ton adolescence ? Ou les as-tu redécouvertes après coup ?

J’ai quitté Alger pour Pyongyang à trois ans en 1976. Puis j’ai beaucoup bougé avec mes parents avant de m’installer au Caire en 1986. Cependant j’ai visité l’Algérie tous les ans depuis. J’ai découvert la plupart de ces musiques en essayant de farfouiller chez les rares disquaires qui survivaient à Alger au fil des années… Enfant, je ne connaissais pas trop ces groupes. A part Idir car « A vava inouva » était un énorme hit dans les années 1970 et mes parents avaient le 45 tours.

Les musiques que tu as compilées étaient-elles des musiques populaires à l’époque ?

Ca dépend lesquelles, mais la plupart de ces groupes pop étaient très connus localement et jouaient dans les mariages et les boites de nuits de leurs villes. Et elles étaient diffusées en radio… La pop, pas le raï (trop dépravé pour l’époque). A part le raï qui est en continuelle progression, la pop 70’s est quasiment inconnue des nouvelles générations. Je ne sais pas trop quoi en penser… C’est sans doute bien.