Suite des aventures du trio des frères Bancroft (Phil, saxophone ténor et Tom, batterie) et du guitariste Kevin MacKenzie, dont on avait découvert l’étrange brouet écossais dans un précédent album au titre mémorable (Wherever I lay my home that’s my hat) : formation montante sur la scène britannique, ce groupe « bass-less » a rôdé son style inclassable dans toute l’Europe des festivals avant de retourner en studio pour enregistrer son troisième album au titre tout aussi intriguant. La touche folklorique celtique qui faisait une partie du charme des deux premiers opus est ici renforcée par les interventions du joueur de whistle (le flageolet traditionnel) Brian Finnegan, pilier du groupe Flook and Northern Ireland, et par l’instrumentation à laquelle recourent occasionnellement les musiciens (Tom Bancroft frappe ici et là sur son « bodhran », le tambour irlandais). « Several of the tunes sound very scottish which is cool because it is where we are from », écrivent-ils avec une drôlerie naïve et décalée dans les notes de pochette.

Pour le reste, le trio AAB poursuit son exploration d’un jazz traversé d’influences multiples et, partant, difficilement localisable sur les cartes des musiques contemporaines. Eclectique (post-moderne, diront certains), plein d’humour, parfois acrobatique, il fait la part belle à des constructions abstraites et anguleuses où se ressent l’héritage d’Ornette Coleman (l’un des grands parrains du groupe) tout en regardant avec détermination vers l’avenir, notamment sur le plan du son et de l’atmosphère. MacKenzie utilise toutes les ressources de ses pédales d’effets pour donner à sa guitare électrique des couleurs inédites, sans rechigner pour autant à retrouver ici et là les vertus du son acoustique ; l’évolution la plus nette dans les orientations du groupe est sans doute à chercher dans des rythmiques influencées, toutes proportions gardées, par les musiques électroniques. La complexité de l’architecture des morceaux, le soin apporté aux enchaînements des motifs et aux contrepoints éloignent néanmoins le trio AAB de tout simplisme binaire ; si Don Cherry avait joué de la flûte, avait vécu à Edimbourg et s’était associé à un Bill Frisell inspiré, sa musique aurait peut-être ressemblé à la leur. Un jazz de chambre cérébral, excitant et totalement original.