Qu’est-il arrivé à Tori Amos ? C’est la question que l’on pourrait se poser à la vue de la pochette de son dernier album, From the choirgirl hotel. Déjà, celle de Boys for Pele, son disque précédent, nous avait marqué par sa cruauté, la violence larvée qu’elle contenait. Ici à nouveau, la superbe Tori nous montre d’elle-même une image on ne peut moins flatteuse, collée à cette vitre qui la déforme. Ensuite, comment découvrir cette merveille musicale, comment aborder ce plaisir des oreilles ? Il ne s’agit pas de le violenter mais bien plus de savoir attendre le moment le plus propice pour aborder le monde merveilleux mais inquiétant de la demoiselle…

Mais la musique dans tout cela, me direz-vous ? Eh bien ouvrez le boîtier, posez l’objet dans le tiroir de votre lecteur et pensez déjà que ce sont plus de cinquante puissantes et monumentales minutes de musique, en douze plages nues ou bien remplies, qui vont vous ravir les tympans. Et que découvrirez-vous ? Que depuis son premier opus en 1993, Tori s’est fait violence. Elle a révolutionné sa musique (particulièrement remarquable avec les programmations très Trickyiennes de Cruel ou amérindiennes de iieee). D’une approche comparable à celle de Kate Bush (à laquelle on pense encore parfois, notamment sur She’s your cocaine ou Playboy mommy), la musique de la sublime rouquine a évolué en plongeant toujours plus dans une profondeur de sentiments que seul un être doué de la plus généreuse sensibilité humaine peut offrir.

L’album commence dans un souffle de guitares légères que quelques battements de caisse claire et un piano crépusculaire viennent perturber. La voix de la Belle se pose alors pour nous confier qu’elle est en proie aux tampons de nicotine. Une introduction en douceur qui préserve l’auditeur avant des tensions sans cesse comprimées, réprimées, refoulées mais bien présentes pourtant pour qui parvient à pénétrer le monde ténébreux de sa musique baroque (par la présence « staccatesque » ou legato de son Bösendorfer), sensuelle (grâce à l’utilisation d’un orchestre à cordes ou du seul piano sur Jackie’s strength), rock (dans la mouvance de Suzanne Vega produite par Mitchell Froom pour les arrangements et de P.J. Harvey par l’usage guttural de la voix) et violente (les crescendo subitto succédant au piano préparé de Black-dove, les martèlements de Raspberry swirl plus fous que ceux du Little wonder de Bowie).

On ne peut lutter contre les flux et reflux des mouvements de cette symphonie des sentiments amoureux (superbe et depouillée Northern lad, suppliante Hotel et la plus belle Pandora’s aquarium). Dans le monde de Tori Amos, on se rencontre, on se découvre, on s’aime et on s’abandonne au cours de crises successives et dans la douleur la plus intense (Liquid diamonds). Et l’on se demande si quelque autre femme, à part P.J. Harvey bien entendu, est capable actuellement de nous offrir autant de sensibilité et d’amour.