« Ceci n’est pas un CD double », nous explique-t-on dans les notes de pochette ; au Jorgos de armar original (« jeu de construction », en français), le joyeux Tom Zé a effectivement ajouté une galette auxiliaire destinée non pas à l’écoute passive mais bien plutôt à permettre au mélomane de plonger à son tour les mains dans le cambouis musical et de reprendre à nouveaux frais les arrangements et empilements imaginés par le brésilien. Explications. Initiateur parmi d’autres (avec Caetano Veloso ou Gilberto Gil) du mouvement tropicaliste dans le Brésil des sixties, Zé accoucha d’un stupéfiant bouillon sonore aux arômes locaux relookés, politisés, sophistiqués, nourris de tous les folklores nationaux et de la prodigieuse inventivité du musicien en matière de sons étranges et de bricolages excentriques. « J’ai fait des instruments avec des aspirateurs, explique-t-il, des machines à écrire ou des scies ; ce n’était pas pour épater le bourgeois. C’était sans provocation, mais pour construire une nouvelle grammaire, une autre syntaxe du langage musical ». Retombé par la suite dans une relative confidentialité, il en sera tiré en 89 par David Byrne (il était sur le point de tout laisser tomber) et, accostant sur les rives européennes et américaines, donnera quelques idées aux hérauts electro-pop de ces dernières années -Tortoise, Amon Tobin ou Stereolab n’ont jamais fait mystère de l’influence qu’a pu constituer pour eux l’inqualifiable musique de ce bidouilleur de génie. Bidouiller : voilà ce qu’il nous propose donc de faire avec ce Jorgos de armar interactif qu’on ne saurait trop recommander aux amateurs de sampling (on peut faire ça chez soi, devant sa discothèque, avec très peu de matériel).

D’un côté, donc, quatorze titres dirigé par Gilberto Assis où, captivé, on suivra les invraisemblables empilements sonores et scénarios musicaux à choix multiples concoctés par le compositeur brésilien : croisements rythmiques originaux (samba et rap, maracatu et capoeira ou encore ce genre inédit dont l’album inaugure la naissance, « o chamegà »), bulles synthétiques ludiques, exploitation maximale des effets stéréophoniques (on s’y perdrait presque), textes engagés et ouvertement lubriques (Arto Lindsay en a beaucoup ri lors d’un récent blind test -cf. Chronic’art #5 en kiosque). Les ritournelles locales se fondent dans un environnement instrumental surréaliste (clavier à klaxons, appareils électroménagers, tubes en PVC) où se mêlent électronique et acoustique (des choeurs féminins sont au programme), Wyatt donne la main à Zappa dans un opéra cosmique et moderne dont quinze écoutes n’épuiseront pas les surprises. De l’autre côté, un CD intitulé Cartilha de parceiros (« modèle de collaboration ») où l’on trouvera, séparément, les différents modules sonores ayant servi à la construction des morceaux. But du jeu : réenregistrer, réagencer, compléter, chambouler à sa guise, selon le bon vieux principe dont Zé a fait son sous-titre, « Faça você mesmo » (faites-le vous même). L’utopie démocratique croise le système D et la débrouille créative, la contestation sociale (rien n’est tout à fait rose au Brésil) se transforme en appel aux bonnes volontés du monde entier. La planète musique aurait tort de faire la sourde oreille.