Vous aimiez le Penguin Cafe Orchestra ? Vous adorerez les trois rêveurs du Tin Hat Trio, qui se sont imposés en trois albums comme les plus lunaires, étranges et inspirés cousins de l’ensemble de Simon Jeffes. Découverte avec Memory of the elephant en 1999, cette formation inclassable voulait éliminer toutes les frontières entre la musique classique, les musiques du monde et le jazz, et réunir au passage l’écriture et l’improvisation dans un bouillon délicat inspiré du bluegrass autant que du tango, du folk est-européen autant que de Nino Rota et Ennio Morricone. Helium (avec Tom Waits en guest-star pour une mémorable samba) puis The Rodeo eroded ont confirmé l’originalité de ses mélanges minimalistes et équilibrés, propres à séduire à peu près n’importe qui ; Book of silk vient ouvrir de nouvelles voies à leur univers décalé et enchanteur, et adjoint au trio d’origine (Rob Burger, Carla Kihlstedt et Mark Orton) la harpiste Zeena Parkins (entendue chez Björk et habituée de la scène avant-gardiste new-yorkaise) et le tubiste Bryan Smith, leader du joyeusement nommé Deep Banana Blackout. Accordéon, piano, célesta, banjo, guitare, violons, violes, trompette : le Tin Hat conserve les timbres qui ont fait sa personnalité mais les met au service d’un registre plus volontiers mélancolique, marqué par une sorte de spleen pudique et paradoxalement optimiste où l’on pourra lire l’écho de la tragique disparition de la compagne de l’un des musiciens, Mark Orton, quelques semaines avant l’enregistrement. Séquences intrigantes sur un entêtant ostinato à la harpe, riffs de banjo délicieusement western, chansons tristes qu’on a pourtant envie d’entendre toute la journée, astucieux entrelacs de cordes : tout se joue dans l’équilibre, le détail et la diabolique précision de petites machines musicales lumineuses et parfaitement fascinantes, évoluant entre le jazz de chambre et le minimalisme répétitif, les folies douces de Bill Frisell et les partitions romantiques de Sakamoto, les subtils arrangements de Jim Hall et les explorations mondiales de Stephen Micus. Tout cela à la fois, et beaucoup plus encore : la musique du Tin Hat Trio n’est finalement comparable à pas grand-chose, ce qui est sans doute le meilleur compliment qu’on puisse lui faire. Emouvant, surprenant, obsédant : un petit chef-d’oeuvre.