Certains groupes ont beaucoup plus de chance que d’autres. Prenons The Strokes : sensation rock de cette rentrée 2001, découverts et signés par Geoff Travis sur Rough Trade il y a moins d’un an, ces cinq new-yorkais se retrouvaient avant même la sortie de leur premier album en couverture de toute la presse rock mondiale. Autant dire que leur premier album disponible depuis quelques jours avait intérêt à être à la hauteur de leur réputation…

Il faudrait répondre à la question « les Strokes vont-ils sauver le rock ? » que semblent se poser, l’air vaguement inquiet, quelques décisionnaires. Quelques martiens (The Jesus And Mary Chain, Jon Spencer) ont toujours su faire jaillir le sang neuf, alors que des praticiens incapables se lamentaient sur un malade en phase hypothétiquement terminale. On entendit l’an passé certains prédire ce retour en grâce des guitares hurlantes. Mais il manquait encore un groupe étendard, une machine marketing suffisamment efficace, bénéficiant de l’approbation des gens de la mode. Les Strokes rempliront ces fonctions pour la saison -ils ont le style, la jeunesse (mais sont-ils dangereux ?)- avant de périr corps et âmes sous une pression incontrôlable.

Ce groupe vient de New York, la ville du Velvet, des Ramones, de Television, de Sonic Youth, bref l’antre du rock blanc. On les compare également aux Modern Lovers. Et c’est vrai que Julian Casablancas (« What can a rich boy do apart to play in a rock’n’roll band ? ») chante souvent comme un Lou Reed juvénile et que l’on croirait parfois entendre des éclairs surgis tout droit des disques des Voidoids de Richard Hell ou ces petites scansions qui illuminaient le premier album des Feelies. On se permettra juste d’ajouter à cette liste celle d’un groupe on ne peut plus anglais, The Smiths (qui sauvèrent les eighties de la médiocrité) dont l’influence se fait lourdement sentir sur au moins deux morceaux : Someday et le bien nommé New York City cops.

Effectivement, The Strokes est un groupe pertinent et efficace. Des chansons comme Soma ou leur premier single The Modern age sont facilement mémorisables et contagieuses. On ne doute pas un instant que ce disque va faire un carton, car c’est un grand disque de pop, immédiat, souvent jouissif. On rapprochera The Strokes d’un spécimen de groupe comme Elastica, que de nombreux emprunts au passé n’ont jamais empêché d’écrire de bonnes chansons qui ont de l’allure (et les Strokes en ont, les jeunes filles à la page s’habillent déjà comme eux) et du goût. Mais il faudra juger sur pièce, sur la scène de La Cigale, où ces teigneux sont programmés à la même affiche que The White Stripes (qui suivent également la voie royale promise aux new-yorkais) de Détroit, rudement plus impressionnants sur disques (ils en sont déjà au troisième, eux, et paraissent avoir eu un peu moins de facilités à se retrouver là où ils sont). Nous verrons alors si l’on ne préfère pas, par le plus grand des hasards, la passion à l’efficacité.